Extrait de l’Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers de Diderot et d’Alembert. Paris, 1756.
L’exécuteur de la haute justice, (Jurifpr.) eft celui qui exécute les jugemens qui condamnent les criminels à mort ou à quelque peine afflictive.
On l’appelle exécuteur de la haute juftice, parce que les hauts-jufticiers, ce qui comprend auffi les juges royaux, font les feuls qui ayent ce que l’on appelle jus gladii, droit de mettre à mort.
On l’appelle auffi d’un nom plus doux, maître des hautes oeuvres; à caufe que la plûpart des exécutions à mort, ou autres peines afflictives, fe font fur un échafaud ou au haut d’une potence, échelle ou pilori.
Mais le nom qu’on lui donne vulgairement eft celui de bourreau.
Quelques-uns tiennent que ce mot eft celtique ou ancien gaulois; &, en effet, les bas Bretons, chez lefquels ce langage s’eft le mieux confervé fans aucun mélange, fe fervent de ce terme, & dans le même fens que nous lui donnons. D’autres le font venir de l’italien sbirro ou birro, qui fignifie un archer ou fatellite du prevot, dont la fonction eft réputée infâme. On en donne encore d’autre étymologies, mais qui n’ont rien de vraifemblable.
Il n’y avoit point de bourreau ou exécuteur en titre chez les Ifraélites; Dieu avoit commandé à ce peuple que les fentences de mort fuffent exécutées par tout le peuple, ou par les accufateurs du condamné, ou par les parens de l’homicide, fi la condamnation étoit pour homicide, ou par d’autres perfonnes femblables, felon les circonftances, Le prince donnoit fouvent à ceux qui étoient auprès de lu, & fur-tout aux jeunes gens, la commiffion d’aller mettre quelqu’un à mort, on en trouve nombre d’exemples dan l’Écriture; & loin qu’il y eût aucune infamie attachée à ces exécutions, chacun fe faifoit un mérite d’y avoir part.
Il y avoit auffi chez les Juifs des gens appellés tortores, qui étoient établis pour faire fubir aux criminels les tortures ou peines auxquelles ils étoient condamnés: quelquefois ils fe fervoient de certains fatellites de leurs préfets, nommés fpiculatores, parce qu’ils étoient armés d’une efpece de javelot ou pique; mais il femble que l’on ne fe fervoit de ceux-ci que lorfqu’il s’agiffoit de mettre à mort fur le champ, comme de couper la tête, & non pas lorfqu’il s’agiffoit de foüetter, ou faire fouffrir autrement les criminels: c’eft de-là que l’exécuteur de la haute juftice eft nommé parmi nous en latin tortor, fpiculator: on l’appelle auffi carnifex.
Chez les Grecs cet office n’étoit point méprifé, puifqu’Ariftote, liv. VI. de fes Politiques, chap. dernier, le met au nombre des magiftrats. Il dit même que par rapport à fa néceffité, on doit le tenir pour un des principaux offices.
Les magiftrats romains avoient des miniftres ou fatellites appellés lictores, licteurs, qui furent inftitués par Romulus, ou même, felon d’autres, par Janus; ils marchoient devant les magiftrats, portant des haches enveloppées dans des faifceaux de verges ou baguettes. Les confuls en avoient douze; les proconfuls, préteurs & autres magiftrats en avoient feulement fix; ils faifoient tout-à-la-fois l’office de fergent & de bourreau. Ils furent nommés licteurs, parce qu’ils lioient les piés & les mains des criminels avant l’exécution; ils délioient leurs faifceaux de verges, foit pour foüetter les criminels, foit pour trancher la tête.
On fe fervoit auffi quelquefois d’autres perfonnes pour les exécutions; car Ciceron, dans le feptieme de fes Verrines, parle du portier de la prifon, qui faifoit l’office de bourreau pour exécuter les jugemens du préteur; aderat, dit-il, janitor carceris, carnifex pratoris, mors, terrorque fociorum, & civium lictor. On fe fervoit même quelquefois du miniftere des foldats pour l’exécution des criminels, non-feulement à l’armée, mais dans la ville même, fans que cela les déshonorât en aucune maniere.
Adrien Beyer, qui étoit penfionnaire de Roterdam, fait voir dans un de fes ouvrages, dont l’extrait eft au journal des Savans de 1703, p. 88. qu’anciennement les juges exécutoient fouvent eux-mêmes les condamnés; il en rapporte plufieurs exemples tirés de l’hiftoire facrée & profane; qu’en Efpagne, en France, Italie & Allemagne, lorfque plufieurs étoient condamnés au fupplice pour un même crime, on donnoit la vie à celui qui vouloit bien exécuter les autres; qu’on voit encore au milieu de la ville de Gand deux ftatues d’airain d’un pere & d’un fils convaincus d’un même crime, où le fils fervit d’exécuteur à fon pere; qu’en Allemagne, avant que cette fonction eût été érigée en titre d’office, le plus jeune de la communauté ou du corps de ville en étoit chargé; qu’en Franconie c’étoit le nouveau marié, qu’à Reutlingue, ville impériale de Suabe, c’étoit le confeiller dernier reçu; & à Stedien, petite ville de Thuringe, celui des habitans que étoit de dernier habitué dans le lieu.
On dit que Witolde, prince de Lithuanie, introduifit chez cette nation que le criminel condamné à mort eût à fe défaire lui-même de fa main, trouvant étrange qu’un tiers, innocent de la faute, fût employé & chargé d’un homicide; mais fuivant l’opinion commune, on ne regarde point comme un homicide, ou du moins comme un crime, l’exécution à mort qui eft faite par le bourreau, vû qu’il ne fait qu’exécuter les ordres de la juftice, & remplir un miniftere néceffaire.
Puffendorf, en fon traité du droit de la nature & des gens, met le bourreau au nombre de ceux que les lois de quelques pays excluent de la compagnie des honêtes gens, ou qui ailleurs en font exclus par la coûtume & l’opinion commune; & Beyer, que nous avons déjà cité, dit qu’en Allemagne la fonction de bourreau eft communément jointe au métier d’écorcheur; ce qui annonce qu’on la regarde comme quelque chofe de très-bas.
Il y a lieu de croire que ce qu’il dit ne doit s’appliquer qu’à ceux qui font les exécutions dans les petites villes, & qui ne font apparemment que des valets ou commis des exécuteurs en titre établis dans les grandes villes; car il eft notoire qu’en Allemagne ces fortes d’officiers ne font point réputés infâmes, ainfi que plufieurs auteurs l’ont obfervé: quelques-uns prétendent même qu’en certains endroits d’Allemagne le bourreau acquiert le titre & les privilèges de nobleffe, quand il a coupé un certain nombre de têtes, porté par la coûtume du pays.
Quoi qu’il en foit de ce dernier ufage, il eft certain que le préjugé où l’on eft en France & ailleurs à cet égard, eft bien éloigné de la maniere dont le bourreau eft traité en Allemagne. Cette différence eft fur-tout fenfible à Strasbourg, où il y a deux exécuteurs, l’un pour la juftice du pays, l’autre pour la juftice du roi: le premier, qui eft allemand, y eft fort confidéré: l’autre au contraire, qui eft françois, n’y eft pas mieux accueilli que dans les autres villes de France.
Les gens de ce métier font auffi en poffeffion de remettre les os difloqués ou rompus, quoique le corps des Chirurgiens fe foit fouvent plaint de cette entreprife; il eft intervenu différentes fentences qui ont laiffé le choix à ceux qui ont des membres difloqués ou démis, de fe mettre entre les mains des Chirurgiens, ou en celles du bourreau pour les fractures ou luxations feulement, à l’exclufion de toutes autres opérations de Chrirugie: il en eft de même en France dans la plûpart des provinces.
Beyer dit encore que quelques auteurs ont mis au nombre des droits régaliens, celui d’accorder des provifions de l’office d’exécuteur. Il ajoûte que ceux qui ont droit de juftice, n’ont pas tous droit d’avoir un exécuteur, mais feulement ceux qui ont merum imperiusp, qu’on appelle droit de glaive ou juftice de fang.
En France, le roi eft le feul qui ait des exécuteurs de juftice, lefquels font la plûpart en titre d’office ou par commiffion du roi. Ces offices, dit Loyfeau, font les feuls auxquels il n’y a aucun honneur attaché; ce qu’il attribue à ce que cet office, quoique très-néceffaire, eft contre nature. Cette fonction eft même régardée comme infâme; c’eft pourquoi quand les lettres du bourreau font fcellées, on les jette fous la table.
Les feigneurs qui ont haute-juftice, n’ont cependant point de bourreau, foit parce qu’ils ne peuvent créer de nouveaux offices, foit à caufe de la difficulté qu’il y a de trouver des gens pour remplir cette fonction. Lorfqu’il y a quelqu’exécution à faire dans une juftice feigneuriale, ou même dans une juftice royale pour laquelle il n’y a pas d’exécuter, on fait venir celui de la ville la plus voifiné.
Barthole fur la loi. 2. ff. de publicis judicüs, dit que fi l’on manque de bourreau, le juge peut abfoudre un criminel, à condition de faire cette fonction, foit pour un tems, foit pendant toute fa vie; & dans ce dernier cas celui qui eft condamné à faire cette fonction, eft proprement fervus poena: il y en a un arrêt du parlement de Bordeaux, du 13 Avril 1674. Voyez la Peyrere, lett. E.
Si le juge veut contraindre quelqu’autre perfonne à remplir cette fonction, il ne le peut que difficilement, Gregorius Tolofanus dit, vix poteft. Paris de Puteo, en fon traité de fyndico, au mot manivoltus, dit que fi on prend pour cela un mendiant ou autre perfonne vile, il faut lui payer cinq écus pour fon falaire, quinque aureos.
Il s’éleva en l’échiquier tenu à Rouen à la S. Michel, 1312, une difficulté par rapport à ce qu’il n’y avoit point d’exécuter, ni perfonne qui en voulût faire les fonctions. Pierre de Hangeft, qui pour lors étoit bailli de Rouen, prétendit que cela regardoit les fergens de la vicomté de l’eau; mais de leur part ils foûtinrent avec fermeté qu’on ne pouvoit exiger d’eux une pareille fervitude; que leurs prédéceffeurs n’en avoient jamais été tenus, & qu’ils ne s’y affûjettiroient point; qu’ils étoient fergens du roi, & tenoient leurs fceaux de Sa Majefté; que par leurs lettres il n’étoit point fait mention de pareille chofe. Ce débat fut porté à l’échiquier, où préfidoit l’évéque d’Auxerre, où il fut décidé qu’ils n’étoient pas tenus de cette fonction; mais que dans le case où il ne fe trouveroit point d’executeur, ils feroient obligés d’en aller chercher un, quand bien même ils iroient au loin, & que ce feroit aux dépens du roi, à l’effet de quoi le receveur du domaine de la vicomté de Rouen feroit tenu de leur mettre entre les mains les deniers néceffaires.
Cependant un de mes confreres, parfaitement inftruit des ufages du parlement de Rouen, où il a fait long-tems la profeffion d’avocat, m’a affuré qu’on tient pour certain dans ce parlement, que le dernier des huiffiers ou fergens du premier juge peut être contraint, lorfqu’il n’y a point de bourreau, d’en faire les fonctions. Comme ces cas arrivent rarement, on ne trouve pas aifément des autorités pour les appuyer.
En parcourant les comptes & ordinaires de la prévôté de Paris, rapportés par Sauval, on trouve que c’étoient communément des fergens à verge du châtelet qui faifoient l’office de tourmenteur juré du roi au châtelet de Paris. Ce mot tourmenteur vénoit du latin tortor, que l’on traduit fouvent par le terme de bourreau. Ces tourmenteurs jurés faifoient en effet des fonctions qui avoient beaucoup de rapport avec celles du bourreau. C’étoient eux, par exemple, qui faifoient la dépenfe & les préparatifs néceffaires pour l’exécution de ceux qui étoient condamnés au feu; ils fourniffoient auffi les demi-lames ferrées ou on expofoit les têtes coupées fur l’echafaud: enfin on voit qu’ils fourniffoient un fac pour mettre le corps de ceux qui avoient été exécutés à mort, comme on voit par les comptes de 1439, 1441 & 1449.
Cependant il eft conftant que cet office de tourmenteur juré n’étoit point le même que celui de bourreau: ce tourmenteur étoit le même officier que l’on appelle préfentement queftionnaire.
Il eft vrai que dans les juftices où il n’y a point de queftionnaire en titre, on fait fouvent donner la queftion par le bourreau. On fait néanmoins une différence entre la queftion préparatoire & la queftion définitive; la premiere ne doit pas être donnée par la main du bourreau, afin de ne pas imprimer une note d’infamie à celui qui n’eft pas encore condamné à mort: c’eft apparemment l’efpirt de l’arrêt du 8 Mars 1624, rapporté par Baffet, tome l. liv. VI. tit. xij. ch. ij. qui jugea que la queftion préparatoire ne devoit pas être donnée par le bourreau, mais par un fergent ou valet du concierge: il paroit par-là qu’il n’y avoit pas de queftionnaire en titre.
Pour revenir au châtelet, les comptes dont on a déjà parlé juftifient que les tourmenteurs jurés n’étoient pas les mêmes que le bourreau; celui-ci eft nommé maître de la haute juftice du roi, en quelques endroits exécuteur de la haute juftice & bourreau.
Ainfi dans un compte du domaine de 1417, on couche en dépenfe 45 f. parifis payés à Etienne le Bré, maître de la haute juftice du roi notre fire, tant pour avoir fait les frais néceffaires pour faire bouillir trois faux monnoyeurs, que pour avoir ôté plufieurs chaînes étant aux poutres de la juftice de Paris, & les avoir rapportées en fon hôtel: c’étoit le langage du tems.
Dans un autre compte de 1425, on porte 20 fols payés à Jean Tiphanie, exécuteur de la haute juftice, pour avoir dépendu & enterré des criminels qui étoient au gibet.
Le compte de 1446 fait mention que l’on paya à Jean Dumoulin, fergent à verge, qui étoit auffi tourmenteur juré, une fomme pour acheter à fes dépens trois chaînes de fer pour attacher contre un arbre près du Bourg-la-Reine, & là pendre & étrangler trois larrons condamnés à mort. On croiroit jufque-là que celui qui fit tous ces préparatifs, étoit le bourreau; mais la fuite de cet article fait connoître le contraire, car on ajoûte: & pour une échelle neuve où lefdits trois larrons furent montés par le bourreau qui les exécuta & mit à mort, &c.
En effet, dans les comptes des années fuivantes il eft parlé plufieurs fois de l’exécuteur de la haute juftice, lequel, dans un compte de 1472, eft nommé maître des hautes-oeuvres; & l’on voit que le fils avoit fuccédé à fon pere dans cet emploi: & en remontant au compte de 1465, on voit qu’il avoit été fait une exécution à Corbeil.
On trouve encore dans le compte de 1478, que l’on paya à Pierre Philippe, maître des baffes-oeuvres, une fomme pour avoir abattu l’échafaud du pilori, avoir rabattu les tuyaux où le fang coule audit échafaud, blanchi iceux & autres chofes femblables, qui ont affez de rapport aux fonctions de l’exécuteur de la haute juftice: ce qui pourroit d’abord faire croire que l’on a mis, par erreur, maître des baffes – oeuvres pour maître des hautes – oeuvres; mais tout bien examiné, il paroît que l’on a en effet entendu parler du maître des bafffes – oeuvres que l’on chargeoit de ces réparations, fans-doute comme étant des ouvrages vils que perfonne ne vouloit faire, à caufe du rapport que cela avoit aux fonctions du bourreau.
Du tems de faint Louis il y avoit un bourreau fémelle pour les femmes: c’eft ce que l’on voit dans une ordonnance de ce prince contre les blafphémateurs, de l’année 1264, portant que celui qui aura mesfait ou mefdit, fera battu par la juftice du lieu tout de verges en appert; c’eft à fçavoir li hommes par hommes, & la femme par feules femmes, fans préfence d’hommes. Traité de la Pol. tome I. p. 546.
Un des droits de l’exécuteur de la haute juftice, eft d’avoir la dépouille du patient, ce qui ne s’eft pourtant pas toûjours obfervé par-tout de la même maniere; car en quelques endroits les fergens & archers avoient cette dépouille, comme il paroît par une ordonnance du mois de Janvier, 1304, rendue par le juge & courier de la juftice féculiere de Lyon, de l’ordre de l’archevêque de cette ville, qui défend aux bedeaux ou archers de dépouiller ceux qu’ils mettoient en prifon, fauf au cas qu’ils fuffent condamnés à mort, à ces archers d’avoir les habits de ceux qui auroient été exécutes.
L’exécuteur de la haute juftice avoit autrefois droit de prife, comme le roi & les feigneurs, c’eft-à-dire de prendre chez les uns & les autres, dans les lieux où il fe trouvoit, les provifions qui lui étoient néceffaires, en payant néanmoins dans le tems du crédit qui avoit lieu pour ces fortes de prifes. Les lettres de Charles VI du 5 Mars 1398, qui exemptent les habitans de Chailly & de Lay près Paris, du droit de prife, défendent à tous les maîtres de l’hôtel du roi, à tous fes fouriers; chevaucheurs (écuyers), à l’exécuteur de la haute juftice, & à tous nos autres officiers, & à ceux de la reine, aux princes du fang, & autres qui avoient accoutumé d’ufer de prifes, d’en faire aucunes fur lefdits habitans. L’exécuteur fe trouve là, comme on voit, en bonne compagnie.
Il eft encore d’ufage en quelques endroits, que l’exécuteur perçoive gratuitement certains droits dans les marchés.
Un recueil d’ordonnances & ftyle du châtelet de Paris, imprimé en 1530, gothique, fait mention que le bourreau avoit à Paris des droits fur les fruits, verjus, raifins, noix, noifettes, foin, oeufs & laine; fur les marchands forains pendant deux mois; un droit fur le paffage du Petit-pont, fur les chaffe-marées, fur chaque malade de S. Ladre, en la banlieue; fur les gateaux de la veille de l’Épiphanie; cinq fols de chaque pilorié; fur les vendeurs de creffon, fur les pourceaux, marées, harengs: que fur les pourceaux qui couroient dans Paris, il prenoit la tête ou cinq fols, excepté fur ceux de S. Antoine. Il prenoit auffi des droits fur les balais, fur le poiffon d’eau douce, chenevis, fenevé; & fur les jufticiés tout ce qui eft au-deffous de la ceinture, de quelque prix qu’il fût. Préfentement la dépouille entiere du patient lui appartient.
Sauval en fes antiquités de Paris, tome Il. p. 457, titre des redevances fingulieres dûes par les eccléfiaftiques, dit que les religieux de S. Martin doivent tous les ans à l’exécuteur de la haute juftice cinq pains & cinq bouteilles de vin, pour les exécutions qu’il fait fur leurs terres; mais que le bruit qui court que ce jour-là ils le faifoient dîner avec eux dans le refectoire; fur une petite table que l’on y voir, eft un faux bruit.
Que les religieux de fainte Genevieve lui payent encore cinq fols tous les ans le jour de leur fête, à caufe qu’il ne prend point le droit de havée, qui eft une poignée de chaque denrée vendue fur leurs terres.
Que l’abbé de Saint-Germain-des-Prés lui donnoit autrefois, le jour de S. Vincent patron de fon abbaye, une tête de pourceau, & le faifoit marcher le premier à la proceffion.
Que du tems que les religieux de Petit-Saint-Antoine nourriffoient dans leur porcherie près l’églife des pourceaux qui couroient les rues, & que ceux qui en nourriffoient à Paris n’ofoient les faire fortir, tout autant que le bourreau en rencontroit, il les menoit à l’hôtel-Dieu, & la tête étoit pour lui, ou bien on lui donnoit cinq fous; que prélentement il a encore quelques droits fur les denrées étalées aux halles & ailleurs les jours de marché.
Ces droits, dont parle Sauval, font ce que l’on appelle communément havage, & ailleurs havée, havagium, havadium, vieux mot qui fignifie le droit que l’on a de prendre fur les grains dans les marchés autant qu’on en peut prendre avec la main. Le bourreau de Paris avoit un droit de havage dans les marchés, & à caufe de l’infamie de fon métier, on ne lui laiffoit prendre qu’avec une cuillere de ferblanc, qui fervoit de mefure. Ses prépofés qui percevoient ce droit dans les marchés, marquoient avec la craie fur le bras ceux & celles qui avoient payé ce droit, afin de les reconnoître: mais comme la perception de ce droit occafionnoit dans les marchés de Paris beaucoup de rixe entre les prépofés du bourreau & ceux qui ne vouloient pas payer ou fe laiffer marquer, il a été fuprimé pour Paris depuis quelques années.
L’exécuteur de la haute-juftice de Pontoife avoit auffi le même droit; mais par accommodement il appartient préfentement à l’hôpital-général.
Il y a néanmoins encore plufieurs endroits dans le royaume où le bourreau perçoit ce droit; & dans les villes mêmes où il n’y a pas de bourreau, lorfque celui d’une ville voifine vient y faire quelque exécution, ce qui eft ordinairement un jour de marché, il perçoit fur les grains & autres denrées fon droit de havage ou havée.
L’exécuteur ne fe faifit de la perfonne du condamné qu’après avoir oui le prononcé du jugement de la condamnation.
Il n’eft pas permis de le troubler dans fes fonctions, ni au peuple de l’infulter; mais lorfqu’il manque à fon devoir, on le punit felon la juftice.
Sous Charles VII, en 1445, lors de la ligue des Armagnacs pour la maifon d’Orléans contre les Bourguignons; le bourreau étoit chef d’une troupe de brigands: il vint offrir fes fervices au duc de Bourgogne, & eut l’infolence de lui toucher la main, M. Duclos, en fon hiftoire de Louis XI, fait à cette occafion une réflexion, qui eft que le crime rend prefque égaux ceux qu’il affocie.
Lorfque les fureurs de la ligue furent calmées, & que les affaires eurent repris leur cours ordinaire, le bourreau fur condamné à mort pour avoir pendu le célebre préfident Briffon, par ordre des ligueurs, fans forme de procès.
Il n’eft pas permis au bourreau de demeurer dans l’enceinte de la ville, à moins que ce ne foit dans la maifon du pilori, où fon logement lui eft donné par fes provifions: comme il fut jugé par un arrêt du parlement du 31 Août 1709.
Cayron, en fon ftyle du parlement de Touloufe, I. Il. tit. jv. dit que l’exécuteur de la haute-juftice doit mettre la main à tout ce qui dépend des excès qui font capitalement puniffables; comme à la mort, fuftigation & privation de membres, tortures, gehennes, amendes honorables, & banniffement en forme, la hart au cou; car, dit-il, ce font des morts civiles.
Cette notion qu’il donne des exécutions qui doivent être faites par la main du bourreau, n’eft pas bien exacte; le bourreau doit exécuter tous les jugemens, foit contradictoires ou par contumace, qui condamnent à quelque peine, en portant mort naturelle ou civile, ou infamie de droit: ainfi c’eft lui qui exécute tous les jugemens emportant peine de mort ou mutilation de membres, marque & fuftigation publique, amende honorable in figuris. Il exécute auffi le banniffement, foit hors du royaume, ou feulement d’une ville ou province, lorfque ce banniffement eft précédé du quelque autre peine, comme du foüet, ainfi que cela eft affez ordinaire; auquel cas, après avoir conduit le criminel jufqu’à la porte de la ville, il lui donne un coup du pié au cul en figne d’explufion.
Le bourreau n’affifte point aux amendes honorables qu’on appelle feches.
Ce n’eft point lui non plus qui fait les exécutions fous la cuftode, c’eft-à-dire dans la prifon; telles que la peine du carcan & du foüet, que l’on ordonne quelquefois pour de legers délits commis dans la prifon, ou à l’égard d’enfans qui n’ont pas encore atteint l’âge de puberté : ces exécutions fe font ordinairement par le queftionnaire, on par quelqu’un des geoliers ou guichetiers.
Pour ce qui eft de la queftion ou torture, voyez, ce qui en a été dit-ci-devant.
Enfin le bourreau exécute toutes les condamnations à mort, rendues par le prévôt de l’armée; il exécute auffi les jugemens à mort, ou autre peine afflictive, rendues parle confeil-de-guerre, à l’exception de ceux qu’il condamne à être paffés par les armes, ou par les baguettes.
Source : Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers de Diderot et d’Alembert. Paris, 1756.
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