Les véritables ancêtres de Louis Pasteur

De Pierrillon à Jean-Estienne Pasteur – l’impasse

D’après le chanoine Musy (1), Pierre Pasteur dit Pierrillon aurait été l’ancêtre de Pasteur le savant. De ce fait, cette branche des Pasteur fut longtemps la mieux connue. Jusqu’à juillet 1997, on considérait la filiation comme exacte et depuis 1921, l’hypothèse du chanoine Musy a été reprise sans contrôle par tous, y compris le général Jacquenod, souvent plus critique (2). D’après Musy, Denys Pasteur, mentionné par René Vallery-Radot, qui consulta les registres paroissiaux de Mièges (le trait de crayon en marge est-il de lui ?), comme ancêtre au cinquième degré du savant, aurait été le fils de Jean-Estienne Pasteur, lui-même fils de Pierre Pasteur dit Pierrillon I.

Les deux fils de celui-ci, Pierre Pasteur Pierrillon II et Jean-Estienne épousèrent deux sœurs, Denyse et Symone Besuchet, filles de Jehan Besuchet et Jehanne Besuchet (Symone naquit le 11 février 1620 ; p: Pierre Besuchet ; m : Symone Rouget) de Mouthe, ce qui jusqu’ici est exact.

L’aîné, Pierre Pasteur Pierrillon II et Denyse Besuchet eurent onze enfants. Les Pasteur actuels de Reculfoz en descendent (pour plus de détails, cf. l’ouvrage de M. Bellague et de J.M. Gallois). En 1681, six garçons survivaient. Jean, né en 1645, marié à Claudia Lhomme Choulet, avait donné un «pouvoir spécial signé de Lucas notaire en date du sixième du courant», annexé à l’acte. J’ai retrouvé sa trace dans les archives du prieuré (21) : il avait quitté Reculfoz sans l’accord de l’autorité pour le service de Mr. de Chatillon à Rougemont-le-Château (Doubs). En 1716, un de ses enfants, Claude-Anthoine, était à Tarcenay, au bailliage de Besançon ; il vendit ses biens (neuf journaux), amodiés à ses oncles Pierre et Claude Pasteur, à Symon Cart de Mouthe (22) et remboursa six cents francs qu’il devait à sa mère Clauda.

La branche de Jean-Estienne Pasteur ne fut pas celle du savant. Avant 1644, Jean-Estienne Pasteur épousa Simone Besuchet de Mouthe (p. hypothétique : Antoine Besuchet ; m. hyp. : Claudia Guyon). Parmi leurs enfants, tous nés à Reculfoz, on leur a attribué :

  • Mathieu (14 mars 1648 ; p : Claude Guyon de Mouthe représentait son fils Mathieu ; m : Marie Besuchet de Reculfoz, épouse de Pierre Pasteur, fils de Jehan). Tout cela est exact, sauf le fait que Mathieu ait été le mari de Pernette Liénaud, qu’il aurait épousée le 22 octobre 1669 à Mièges. C’était faux, car Mathieu, dit de Mouthe, était le fils de Pierre Pasteur, fils de Jehan ;
  • Denys (4 janvier 1653 ; p : Denys Besuchet, noté fils de Claude Besuchet ; m : Denyse Besuchet). Le chanoine Musy et son neveu Jean Musy le présentaient comme l’ancêtre du savant, et il se serait marié le 9 février 1682 avec Jeanne-Isabelle David, de Septmoncel. Ici encore, les parrain et marraine de ce Denys sont vrais, mais il ne fut pas l’ancêtre du savant.

Les véritables ancêtres de Pasteur

Longtemps, la filiation précédente fut admise, mais sans que des recherches particulières soient faites en réalité. Elle n’est plus admissible, car Denys Pasteur, ancêtre du savant, appartenait à une autre branche. Le dix-septième siècle et surtout le seizième, qui vit l’apparition de registres paroissiaux encore partiels et incomplets, sont une période difficile pour les généalogistes. Cela explique qu’à défaut d’une hypothèse mieux étayée, la version Musy se soit maintenue longtemps. La filiation de Denys Pasteur via Jean-Estienne Pasteur présentait une incertitude majeure que personne ne souleva : l’acte de mariage de Denys Pasteur avec Jeanne David, véritables ancêtres du savant au cinquième degré, ne mentionne pas leurs parents. Ce fut donc par assimilation hâtive que ce mariage fut attribué à un fils de Jean-Estienne. Le fait que certains prénoms soient donnés plusieurs fois dans une même génération et / ou entre des génération différentes et dans plusieurs branches, facilite les confusions. C’est ce qui se passa pour l’ancêtre de Pasteur. A la faveur du Congrès des Généalogistes français de 1997 à Bourges, Françoise Barthelet rencontra un de ses collègues jurassiens, M. Luc Duboz, de Mont-sous-Vaudrey (Jura), qui lui communiqua la photocopie du contrat de mariage passé jusque là inaperçu entre Denys Pasteur et Jeanne David, et qui est sans équivoque, car il précise leurs parents : fut Claude Pasteur de Mouthe et fut Jeanne Beschet (Amye ?) pour Denys, Guillaume David de Septmoncel et fut Françoise Baveux (ou Bavoux ?) pour Jeanne (3). C’est essentiel et cela change tout. Daté du 23 février 1682, c’était une régularisation : il y est simplement précisé que les mariés et leurs parents n’avaient pas fait rédiger «les articles convenuz entre eux au subject dudit mariage» (témoins Denis Magnin, d’Arsurette et Jean Millet, de Nozeroy).

Depuis, Martine Bellague a retrouvé l’acte de naissance de ce Denys Pasteur, véritable ancêtre du savant. Il naquit le 9 décembre 1656 à la grange du «mont Thouru» (Monthury), aux Nans, sur le territoire d’Onglières ; elle brûla au dix-neuvième siècle. Les parrain et marraine de Denys Pasteur furent Denys Gourmand et une autre Jeanne Beschet. En réalité, je connaissais ses parents par leur contrat de mariage daté du premier janvier 1639, mais sans savoir où les rattacher (4). Ce contrat est d’un grand intérêt car il précise les pères : celui de Claude Pasteur était Etienne Pasteur, et celui de la jeune fille, Anthoine Beschet, tous deux dits de Mouthe. Les témoins du mariage étaient François Dubief dit le Gris et Pierre Lhomme dit Choulet de Mouthe. Le père de Claude promettait à celui-ci sa part d’héritage à son décès, soit le quart de ses biens, le reste allant à ses trois autres frères, Pierre, Jean et Symon, donc un quart des biens à chacun, ce qui était normal. Antoine Beschet donnait soixante francs à la communauté des futurs époux, part d’héritage dévolue à sa fille, payable à la Saint-Michel prochaine, ainsi que trousseau, vêtements, habits nuptiaux, une vache et cent francs au premier enfant légitime des époux atteignant l’âge de un an. Pierre, frère de Claude, apparaît dans un acte du 9 mai 1656, que je connaissais également (5) et qui a trait au partage de biens du père (témoins : Antoine Beschet et Jacques Bugnet dit Bibaud de Mouthe). J’y ai trouvé le nom de la mère de Claude Pasteur : Jeanne Rouget, ce qui rattache plus ou moins la lignée du savant à celle de Rouget de l’Isle, puisque l’ascendance de celui-ci remonte aux Rouget de Mouthe. On se prend à penser aux débordements d’enthousiasme des thuriféraires de Pasteur d’hier et d’aujourd’hui s’ils avaient subodoré une parenté entre lui et l’auteur de La Marseillaise. Cette filiation nous éloigne d’ailleurs encore plus de la lignée longtemps admise. Rappelons néanmoins que Symone Besuchet, épouse de Jean-Estienne Pasteur, eut pour marraine Symone Rouget, ce qui implique que ces Besuchet-Beschet étaient déjà proches. Des unions entre ces «essaims» et les Pasteur étaient courantes depuis au moins un siècle. L’acte de 1639 mentionne (6) Symon, né à Mouthe le 9 novembre 1624 (p : Symon Charité ; m Marguerite Chifflier), mais cette fois-ci, le surnom du père est noté : Estienne Pasteur dit Gaillard, dans l’acception d’homme joyeux ou audacieux. Le savant aurait pu naître sous le patronyme de Gaillard, si l’usage avait réduit son nom de sa famille au second surnom. Le lieu de naissance n’est pas précisé, les actes étant répertoriés à Mouthe, église-mère. Un quatrième garçon Jehan naquit le 17 juin 1617 (p : Jehan Lhomme Natoire «junior» ; m : Jehanne Lhomme). Les quatre garçons eurent sans doute deux sœurs, mais ce n’est pas assuré car le nom de la mère n’est pas cité, comme cela arrivait souvent :

  • Anthonia (2 décembre 1606 ; p : Anthoine Beschet ; m : Jehanne Devaux, tous deux de Mouthe);
  • Françoise (30 août 1613 ; p : François Nicolet ; m : Jeanne Cat, tous deux de Mouthe également);

A qui rattacher Estienne Pasteur ? Au partage de mai 1656, Claude hérita de deux pièces de terre arable, l’une «derrière chez le «grand» (?), terroir de Mouthe, touchant à Claude, fils de feu Jean Cart Lyotton, et à Jacques Favrot dit Petit Jacques, de Mouthe, l’autre sur la Chaux d’Estourgnechet (au meix de la Chaux), touchant à Claude, fils de feu Jean Cart Lyotton et à Claude Cart dit Grand Jean de Mouthe. Pierre hérita d’une maison à Mouthe, dite la «maison d’Etienne Pasteur», avec les clos et curtils d’une petite terre au terroir de Mouthe, dite «aux Marchez», touchant Antoine Beschet dit Guettard et Pierre, fils de Regnaud Cart Vayet (Bayet), de Mouthe, et d’un morceau de terre séparé des clos et dit «le Champ». Le terrier de Mouthe ne mentionne au chef-lieu qu’un Pasteur Corderat, propriétaire de presque rien. Il est vraisemblable qu’Estienne Pasteur s’y était installé plus récemment, peut-être après son mariage et qu’il avait construit la maison dont hérita Pierre. Rien n’interdit de proposer une hypothèse basée sur la succession des prénoms pour le rattacher aux anciens Pasteur connus. Pourquoi ne serait-il pas le fils de Denys, frère aîné (?) de Jehan, de Pierre et de Pierrillon, et petit-fils de l’autre Estienne, qui pourrait avoir été son parrain ? Cela expliquerait le prénom du fils de Claude. La série Denys, Estienne, Claude, Denys, Claude et Claude-Estienne (arrière-grand-père du savant) «s’emboîte» normalement et cadrerait bien avec les habitudes de transmission des prénoms. Rappelons aussi que le premier Estienne Pasteur sûr (fils de Jehan) épousa Pernette Guyon du Crouzet et que Jehan Pasteur fut marié à une Guyon du Crouzet ; or, Mathieu Pasteur, fils de Claude, eut un Mathieu Guyon du Crouzet pour parrain, ce qui suggère des liens précis. On ne peut rien dire de plus sinon que la lignée de Denys n’était pas celle supposée et que l’ancêtre du savant ne descendait pas de Pierrillon Pasteur. La consultation des registres de catholicité ne suffit pas comme base d’une généalogie et peut même être une source d’erreurs.

Claude Pasteur dit Gaillard épousa Jeanne Beschet Amye en janvier 1639. Ils eurent six enfants:

  • Anthoinette (16 février 1641 : p : Anthoine Beschet Amye ; m : Claudine Beschet Amye, tous deux de Mouthe);
  • Jehanne (29 mai 1642 ; p : Jehan Bugnet, de Mouthe ; m : Perrenette Rouget du Crouzet);
  • Mathieu (5 juillet 1645 ; p : Mathieu Guyon ; m : Perrenette Courthet ? de Mouthe);
  • Pierre (28 juin 1649, registre de Mièges ; p : Pierre Jacques, de Plénisette ; m : Anthonia Berthet);
  • Pernette Françoise (13 septembre 1651, registre de Mièges ; p : Pierre Pasteur de Mouthe ; m : Jeanne-Françoise Brocard)
  • Denys (9 décembre 1656 au «Mont Thouru», sur la paroisse de Mièges ; p: hon. Denys Gourmand ; m : Jehanne Beschet).

__________________

(1) Jean Musy (neveu du chanoine Musy), Notes sur la famille de Louis Pasteur d’après les Archives du Doubs (1922). Mém. Soc. Emul. Doubs, 9e S., 2. 89-94.
(2) P. Jacquenot (1989) Rectifications et précisions sur la généalogie de Louis Pasteur. Bu!!.
Centre Eut,: Généal. F,: Comté, n° 38, avril-mai-juin, pp. 10-12.
(3) ADJ. minutes du notaire Royet, de Nozeroy 4 E 29 / 94-97.
(4) ADD, 35 H 313.
(5) ADD. 35 H 322.
(6) ADD. 35 H 112.- Deux actes de ventes de terres par Claude Pasteur existent aussi.

Cliquez ici pour visualiser l’arbre généalogique complet des ancêtres de Louis Pasteur.

Source: Préhistoire de Pasteur, de Richard Moreau (Ed. L’Harmattan, 2000)

Voir aussi: