Collonge-Bellerive – Notes d’histoire – Anciennes familles

C’est par le traité de Turin passé le 16 mars 1816 entre la République de Genève et le Royaume de Sardaigne (1) que Collonge-Bellerive devint genevoise, en même temps que vingt-quatre communes actuelles de la rive gauche du lac et du Rhône (2).

La même année, le gouvernement édicta une loi qui définissait l’organisation du nouveau territoire. Cette loi concernait également les communes cédées par la France sur la rive droite (3).

L’article 3 de cette loi réglait la question de la nationalité des personnes résidant sur le territoire cédé à Genève. Cet article spécifiait que, pour être « reconnu genevois », l’individu habitant une des anciennes communes sardes cédées devait remplir au moins une des quatre conditions suivantes :

  1. être né sur le territoire cédé
  2. être issu d’un père savoyard né sur ce territoire
  3. être, au 16 mars 1816, en même temps propriétaire foncier et domicilié sur ce territoire
  4. pouvoir justifier d’un droit d’habitation acquis au 16 mars 1816 sur ce territoire.

Dès l’entrée en vigueur de la loi, un registre fut ouvert où étaient inscrits les habitants des territoires cédés qui, sur leur demande, étaient reconnus genevois (4).

La reconnaissance comprenait l’attribution au nouveau citoyen d’une « commune d’origine »; cette commune était dans la règle celle où le requérant remplissait une des quatre conditions précitées.

A Collonge-Bellerive, les premiers inscrits furent Noël Mouille et ses fils Sébastien et Joseph qui furent reconnus le 24 février 1823. Le père, né à Lugrin (Haute-Savoie), était domicilié à Bellerive et y était propriétaire; Sébastien et Joseph y étaient nés (5).

En 1829, le Conseil d’État prit un arrêté stipulant que les personnes figurant sur les tableaux électoraux et celles ayant exercé des fonctions de maire, adjoint ou conseiller municipal étaient automatiquement reconnues genevoises. A Collonge-Bellerive, ce furent 33 individus qui bénéficièrent de cette mesure. A l’époque, le suffrage universel n’existait pas encore; on ne connaissait que le cens électoral (6). Seuls votaient les citoyens – les femmes n’avaient pas le droit de vote – qui pouvaient justifier d’une certaine fortune ou d’un certain revenu.

La reconnaissance comme citoyen genevois s’étendait toujours à l’épouse et aux enfants mineurs, bien qu’il existe des cas où un enfant reconnu avec son père ait fait l’objet d’une seconde reconnaissance parvenu à l’âge adulte (7).

La demande de reconnaissance était très souvent déposée peu de temps avant un mariage avec un ressortissant étranger (sarde dans la presque totalité des cas). Le conjoint genevois devait en effet prouver sa qualité de citoyen du canton avant de recevoir l’autorisation de mariage de la Chambre des Étrangers.

A partir de 1839, on trouve au registre plusieurs inscriptions de veuves qui, ayant perdu la citoyenneté genevoise par leur mariage avec un étranger, demandent à être réintégrées dans leurs droits d’avant le mariage (8). Ces cas étaient traités comme des reconnaissances et les requérantes devaient satisfaire à l’une ou l’autre des quatre conditions de la loi du 14 novembre 1816.

Dès 1847, l’article 20 de la nouvelle constitution régla la question des réintégrations tout en exigeant que la veuve ou la femme divorcée « réside dans le canton, ou si, après y être rentrée, elle déclare qu’elle veut s’y fixer » (9).

Enfin, la loi du 21 octobre 1885 par son article 7 étendait la mesure aux enfants mineurs de la femme « réintégrée » : ceux-ci pouvaient obtenir la naturalisation dans la commune d’origine de leur mère.

188 personnes (10) furent reconnues ou réintégrées dans la citoyenneté de Collonge-Bellerive entre 1823 et 1892, date de la dernière inscription. Il est évident que le nombre d’individus touchés fut beaucoup plus grand, puisque l’épouse et les enfants étaient compris dans la reconnaissance du chef de famille.

De nombreux habitants ne présentèrent jamais de demande de reconnaissance; ils furent, eux ou leurs descendants, reconnus ipso facto en 1874 lors de la révision de la loi sur l’état-civil, conséquence de l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution fédérale.

Cette loi prévoyait l’inscription de la commune d’origine dans tous les actes d’état-civil. C’est d’ailleurs à cette époque que l’on relève un certain nombre d’erreurs dans les actes de naissance, mariage et décès. Des fonctionnaires communaux confondirent lieu de naissance et commune d’origine et quelques personnes furent inscrites à l’état-civil comme étant d’une autre commune que la leur (11).

Les 188 citoyens reconnus à Collonge-Bellerive représentent 45 patronymes différents (12). Ces noms sont ceux de familles établies chez nous avant 1816. C’est à elles que j’applique le qualificatif d' »anciennes familles ».

Ce choix peut paraître subjectif, car il laisse de côté des familles parfois anciennes, mais éteintes avant 1816 ou ayant quitté la commune avant cette date (13).

De plus, il omet les familles naturalisées genevoises pour la commune de Collonge-Bellerive à partir de 1816. A noter que dans ce dernier cas, pour 14 familles naturalisées entre 1816 et 1871, une seule est encore existante (14).

Je pense néanmoins que 1816 constitue une date-limite acceptable. Elle se situe avant les mouvements de population du XIXe siècle. Désormais, le brassage des individus s’accentuera et, entre 1816 et la fin du siècle, de nombreuses familles quittent la commune – dont elles restent ressortissantes – pour aller s’établir en ville ou dans d’autres communes rurales. Contraste frappant avec l' »immobilisme » relatif des siècles précédents.

Le recensement qui eut lieu en 1816 dans toutes les communes du nouveau territoire confirme d’ailleurs la prédominance à Collonge-Bellerive des « sujets » collongeois (15).

La commune compte alors 572 habitants, soit 148 à Collonge et à Bellerive, 275 à Vésenaz et à La Capite, 136 à Saint-Maurice et 13 à Cherre.

Sur ces 572 personnes, 81 sont étrangères à la commune, c’est-à-dire ressortissantes d’autres communes genevoises, d’autres cantons suisses ou de l’étranger (ces dernières pour la plupart d’origine sarde). Elles appartiennent en grande majorité à ce que nous appelons aujourd’hui une population flottante : domestiques, valets de ferme, servantes, etc.

On trouve enfin 7 femmes, collongeoises par leur naissance, mais mariées à des étrangers : elles ont donc perdu le droit de cité de Collonge-Bellerive.

Les 484 individus restants appartiennent aux 46 familles (16) dont j’ai parlé plus haut et que j’ai retenues comme « anciennes familles », étudiées ci-dessous.

Ne figurent pas au recensement – et pour cause, puisqu’ils n’étaient pas domiciliés à Collonge-Bellerive – des ressortissants collongeois nés dans la commune ou issus d’un père né dans la commune, qui furent reconnus conformément à la loi de 1816 (17).


Notes:

  1. le texte du traité figure dans Recueil des lois, vol. 2, p. 507.
  2. L. BLONDEL, Géographie politique et urbaine, dans Histoire de Genève de 1798 à 1931, p. 32.
  3. loi du 14 novembre 1816, dans Recueil des lois, vol. 2, pp. 464-465.
  4. AEG, Bourgeoisie, registres A17 à A23.
  5. ibidem, registre A17, f° 54.
  6. le cens électoral était la quotité d’imposition nécessaire pour être électeur. Ce cens, fixé à 63 florins 9 sous, fut abaissé en 1819 (F. RUCHON, Histoire politique de Genève, t. I, p. 143).
  7. par exemple, Jean Dunand, né en 1808, fils d’Antoine; il est inclus dans la reconnaissance de son père en 1827, puis reconnu seul en 1838, peu avant son mariage.
  8. cas d’Antoinette Pasteur, veuve de Joseph Moriaud, d’Archamps, reconnue le 10 avril 1839.
  9. Recueil des lois, vol. 33, p. 106.
  10. j’ai volontairement omis deux « doublets » (personnes reconnues deux fois) et deux reconnaissances erronées. Celle de Philippe Figuet, reconnu en 1829, mais « attribué » par la suite à Cologny; la rectification figure sur le registre de la Chancellerie, mais n’a pas été portée sur celui déposé aux Archives. La seconde est celle de Joséphine Dufrêne, née à Vésenaz en 1841, reconnue en 1874 et attribuée par erreur à Collonge-Bellerive. Gaspard, son père, était né à Lancy en 1808 et y avait été reconnu en 1838.
  11. cas de Jacques Falquet, reconnu en 1829 à Collonge-Bellerive, et domicilié à Corsier dès 1831. Les actes (postérieurs à 1874) concernant ses enfants les donnent comme « originaire de Corsier ». L’erreur a été rectifiée par la suite dans les registres.
  12. qui eux-mêmes représentent 46 familles. Le patronyme Augier est porté par deux familles d’origines différentes.
  13. parmi les premières : les Bouchet, les Conjouz; au nombre des secondes les Rilliet, les Dunant, les Dusseiller.
  14. la famille Dusonchet, naturalisée en 1838.
  15. AEG, recensements, C4, Collonge-Bellerive.
  16. voir la note 12 ci-dessus.
  17. comme les Genequand et les Jacob.

Source: Georges Curtet. Collonges-Bellerive – Notes d’histoire. Vol. I. Collonge, 1986.

Voir aussi :