Do Néva, Nouvelle Calédonie (1919-1925)

Correspondance et rapports de mission de Paul Emile Pasteur

De 1919 à 1923, Paul Émile Pasteur et son épouse Hélène Félix vont assurer, à la demande de la Société des Missions évangéliques de Paris, l’intérim de Maurice Leenhardt à la station missionnaire de Do Néva, près de Houailou, sur la côte Est de la Nouvelle Calédonie.

Sommaire

  1. Départ de Paul Émile Pasteur pour la Nouvelle-Calédonie (1919) – I
  2. Départ de Paul Émile Pasteur pour la Nouvelle-Calédonie (1919) – II
  3. Lettre de Paul Émile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris (janvier 1920)
  4. Lettre de Paul Émile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris (juillet 1920)
  5. Rapport de Paul Émile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris sur la station de Do-Néva (octobre 1920)
  6. Rapport de Paul Émile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris sur la station de Do-Néva (1921)


Départ de Paul Émile Pasteur pour la Nouvelle-Calédonie (1919) – I

Nous aurons la joie de pouvoir faire partir prochainement pour la Nouvelle-Calédonie M. et Mme Pasteur qui seront chargés de faire à Do-Néva l’intérim de M. et Mme Maurice Leenhardt. Ceux-ci, qui tiennent bon à leur poste depuis plus de 9 ans, ont, sans aucune pression du Comité, décidé de ne rentrer qu’après avoir pu mettre au courant de l’œuvre, leur successeur.

Tous les amis des missions se joindront à nous pour leur exprimer notre émotion reconnaissante pour une telle marque de désintéressement.

M. Pasteur a déjà servi notre Société comme aide missionnaire au Congo. Sa santé ne lui permettant pas de retourner dans un climat malsain comme celui de la côte d’Afrique, il a été heureux de pouvoir nous offrir ses services pour la Calédonie et nous sommes assurés, par l’expérience que nous avons faite de sa collaboration dans l’Ogooué, qu’il sera pour Do-Néva le plus précieux des renforts.

M. et Mme Benignus repartiront également dès qu’un moyen de transport aura été trouvé pour Nouméa. Ils seront accompagnés de Mlle Capt, institutrice missionnaire qui sera probablement adjointe au missionnaire de la Société de Londres, M. Hadfield, dans l’île de Lifou, pour préparer le transfert de l’œuvre de cette île de la Société de Londres à notre Société.

Nous mettrons prochainement nos lecteurs au courant des détails de cette importante question.

Article paru dans le Journal des Missions de la SMEP (1919, pp. 53) sous le titre « Nouvelle Calédonie – Dernières nouvelles ».

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Départ de Paul Emile Pasteur pour la Nouvelle-Calédonie (1919) – II

Un départ

M. et Mme Pasteur ont passé quelques jours à la Maison des Missions et se sont embarqués au Havre le 13 septembre, sur la Lorraine, à destination de New-York. De là, ils ont dû gagner en chemin de fer San Francisco, où ils s’embarqueront le 14 octobre sur le Ventura. Ce paquebot le amènera à Sydney, où ils trouveront un bateau pour Nouméa.

Itinéraire coûteux

Nous n’avons pas trouvé de moyen plus direct et plus économique d’envoyer nos amis en Nouvelle-Calédonie, la Compagnie des Messageries Maritimes avant supprimé jusqu’à nouvel ordre son service d’Australie. Mais nos souscripteurs doivent se rendre compte qu’un pareil voyage entraîne, pour la Société, des frais considérables, hors de proportion avec nos dépenses d’avant guerre, d’autant plus que la plus grande partie doit être payée en monnaie américaine ou anglaise et que les frais de change sont très onéreux.

Un autre départ prochain

M. et Mme Benignus et Mlle Capt, dont nous annoncions l’envoi le mois dernier, vont être obligés de prendre aussi la même voie. Ils s’embarqueront au Havre le 18 octobre et prendront, à San Francisco, le 11 novembre, la Sonoma, à destination de Sydney.

La question des Loyalty

Du moment que nous avions la possibilité de secourir M. Leenhardt, nous ne pouvions pas nous laisser arrêter par des considérations financières. Notre frère est depuis trop d’années seul à la tâche, et notre devoir est de lui fournir maintenant, la possibilité de rentrer en congé. Le renfort que nous envoyons en Nouvelle-Calédonie sera même tout à fait insuffisant puisqu’il ne nous permettra pas d’occuper de nouveau les Loyalty, au moment où le départ imminent du vieux missionnaire anglais de Lifou, M. Hadfield risque de charger notre Société de la direction de l’œuvre, non plus seulement à Maré, mais dans l’archipel tout entier.

Aussi M. Leenhardt, dans une lettre reçue le 9 septembre et que le Comité va étudier dès la rentrée, insiste-t-il avec beaucoup de force pour que M. Bergeret soit le plus tôt possible libéré au Cameroun et renvoyé à son poste. L’utilisation de Mlle Capt elle-même sera impossible aux Loyalty si M. Hadfield quitte à brève échéance Lifou et si l’arrivée de M. Bergeret doit tarder. Notre jeune sœur se verra obligée de rester en Nouvelle-Calédonie pour s’initier à l’œuvre et aux diverses langues des Loyalty jusqu’au jour où nous aurons, soit à Maré, soit à Lifou, un couple missionnaire sur lequel elle puisse s’appuyer.

Il y faudrait un jeune pasteur

Malheureusement l’appel que nous avons publié à la fin de l’hiver dernier dans les journaux religieux ne nous a amené aucune offre que le Comité ait cru devoir accepter. Maintenant que la paix va être ratifiée et le monde entier entrer dans une ère nouvelle, ne pouvons-nous pas renouveler cet appel? A supposer même que M. Bergeret puisse être dégagé du Cameroun et rendu à l’Océanie, ce qui ne pourrait pas se faire, en tout cas, avant deux ans environ, il ne saurait suffire à lui seul à l’œuvre des Loyalty, avec les trois îles importantes de Lifou, Maré et Ouvéa, et l’école des Natas qui est appelée à prendre une plus grande extension. N’y aura-t-il pas un jeune pasteur qui s’offre à l’y accompagner ou mieux à l’y précéder?

Article paru dans le Journal des Missions de la SMEP (1919, pp. 154-155) sous le titre « Nouvelle Calédonie – Dernières nouvelles »

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Lettre de Paul Émile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris (janvier 1920)
Do-Néva, 4 janvier 1920.

Depuis plusieurs semaines nous sommes installés dans la Grande Terre, et je n'ai pas encore trouvé un moment suffisamment long et tranquille pour vous écrire, et vous décrire toute ce dont mon cœur est enthousiasmé.

Pour être plus précis dans mes souvenirs, je vais procéder par retour en arrière, partant du présent, pour rejoindre la France, alors que nous l'avons quittée, il y a si longtemps semble-t-il.

En ce moment, et depuis avant Noël, l'école est en vacances, jusqu'après les fêtes de l'An.

Les élèves externes, au nombre de 40 environ, sont rentrés dans leurs tribus respectives. Les internes, 35 environ, sont occupés au débroussement, au labour, et travaux d'entretien général.

Pour moi, je profite de ce répit pour me mettre au courant des diverses activités matérielles et religieuses de Do-Néva afin de pouvoir maintenir toutes choses en leur état actuel après le départ de M. et Mme Leenhardt.

Les moyens d'action sur l'indigène sont nombreux ici, et je me réjouis à la pensée d'y continuer une œuvre commencée, établie, fortifiée, comme elle l'est en ce moment, avec le plus pur esprit missionnaire qui soit, et que j'aie connu, esprit à la fois pratique, pédagogique et religieux. Vraiment, en ce moment, je sens que je puis donner tout mon effort sans aucune arrière-pensée, et en complet accord avec M. Leenhardt.

Une seule chose m'effraie, mais ne me décourage pas, au contraire, elle me stimule. C'est la grande puissance de travail de M. Leenhardt.

Servi par une santé de fer, une capacité intellectuelle et morale supérieures, une diversité de dons étonnante, il a pu, au travers de toutes les oppositions de partis, des petitesses administratives, mettre sur pied une mentalité protestante qui est reconnue et respectée dans toute la colonie.

Dès notre arrivée à Nouméa, et avant même, des échos nous sont parvenus sur la valeur de M. Leenhardt et sur le grand travail accompli par lui parmi les indigènes.

Certainement la France peut et doit lui être reconnaissante de ce qu'il a fait connaître à l'indigène, une plus grande France que celle qu'ils ont trop souvent sous les yeux. Pourrons-nous maintenir tous les éléments de cette organisation? Non sans doute puisque M. Bénignus reprendra la direction de l’œuvre religieuse. Mais l’œuvre scolaire à elle seule représente tout un ensemble d'activités.

Il vous tardait, je pense, de connaître mes impressions d'arrivée. Elles sont bonnes, encourageantes.

Le jour de notre arrivée, toute l'école était réunie; les natas, diacres et anciens des tribus avoisinantes, accompagnés des tirailleurs en uniforme, nous ont reçus de la façon la plus digne. Quelques chefs de tribu étaient là, le chef Mindia a parlé avec humilité et puissance. Acoma Nerhon nous a fait entrevoir les difficultés que nous rencontrerons, et sa joie, et sa reconnaissance à la pensée que nous sommes venues à l'heure même où tout semblait sombre.

Un vieux Nata, dont l'émotion fut à peine contenue, nous retraça en quelques mots les tristesses et les ombres qui mirent du découragement dans l'église. Départ des tirailleurs, mort de beaucoup d'entre eux, départ et mort de M. Laffay, sa maison restée vide et triste, puis la rébellion, la longue attente, dure, énervante, de leurs fils retenus à Saint-Raphaël, puis la mort de Joané, la perspective de départ de leur missionnaire, etc… sont un ensemble d'épreuves difficiles à comprendre, et à l'issue desquelles tout s'éclaire subitement.

Le procès de la rébellion révèle l'innocence des principaux accusés, et Dieu leur envoie un homme et une femme pour qu'ils ne soient pas laissés seuls. Il dit merci à Dieu, merci à la Société des Missions, merci à nous-mêmes et termine en nous remettant, avec les présents déposés à terre, poules, ignames, nattes, la maison qu'habitait M. Laffay, et qui est l’œuvre de leurs mains et de leurs cœurs.

Cette cérémonie, agrémentée de chants et de salutations des tirailleurs, dont un grand nombre sont décorés de croix de guerre, nous a émus profondément, et nous avons senti véritablement l'utilité, l'urgence de notre arrivée, et cela est infiniment bon de se sentir attendu, parce qu'on se sent aidé.

Certainement la joie que nous avons eue et que nous ont donnée ces cœurs chauds d'indigènes reconnaissants, nous a fait oublier les fatigues du voyage, et la distance qui nous sépare des nôtres. Nous aurions aimé qu'ils voient et entendent, et nous sommes certains qu'alors eux aussi seraient dans la joie de nous avoir laissé partir et de nous avoir soutenus de leurs vœux et leurs prières.

Non, jamais les Églises ne se rendront assez compte du bien qu'elles font à ces âmes avides de bien, en leur envoyant ceux qui les encourageront à persévérer dans l'effort, à recommencer après une bataille perdue, à fortifier leur coeur contre les embûches du mal, contre leur faiblesse même. Merci à elles, en leur nom, de ce qu'elles nous ont envoyés.

Paul Pasteur

Des extraits de cette lettre sont parus dans le Journal des Missions de la SMEP (1920, pp. 119-120) sous le titre « Débuts à Do-Néva. Vacances. – Activité de M. Leenhardt. – Impressions d’arrivée à Do-Néva. – Difficultés et encouragements. »

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Extraits d’une lettre de Paul Émile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris (juillet 1920)
Do-Néva, 16 juillet 1920.

Les élèves commencent à avoir confiance en moi. Il est bien compréhensible que, pour ces garçons, je ne pouvais être, dès l'abord, un ami; ils avaient besoin d'apprendre à connaître et à aimer leur nouveau missionnaire.

J'aurais aimé en envoyer deux, passer le dimanche dans une tribu de la montagne, à 30 kilomètres. Jusqu'à présent, cela n'a pas été possible; nos chevaux ne sont pas habitués aux sentiers difficiles qu'il faut suivre. Il faudra avertir la tribu voisine des Néawa de leur passage et lui emprunter des chevaux entraînes à ces randonnées. D'ici là, nos étudiants auront le temps de se préparer à leur responsabilité.

Ce n'est du reste pas une tentative nouvelle, cette expédition d'élèves, deux par deux. Une fois déjà, deux d'entre eux avaient été envoyés, et étaient revenue rayonnants de joie. Ils sont très différents, selon le travail que l'on demande d'eux. Leur bonne volonté grandit dans la mesure de l'importance du mandat qu'on leur confie. Ils se sentent rehaussés, déjà un peu nata, et ce simple fait leur donne momentanément la valeur de rôle qu'ils remplissent.

La Fête de Mai, la première grande manifestation depuis le départ de M. Leenhardt, a très bien réussi. J'avais eu une certaine appréhension: je suis si ignorant des traditions! Mais les natas ont heureusement suppléé à notre ignorance, et grâce à leur initiative, tout a bien marché, sans bousculade et sans longeur; rien qui puisse ternir le souvenir de ces belles journées, terminées par la communion.

Les catéchumènes, au nombre de huit, semblent se rendre compte, parfois, de leur faiblesse morale. Ce qui doit leur sembler le plus difficile, surtout pour quelques-uns d'entre eux, c'est de devoir servir toujours d'exemple aux autres. On leur demande un rude effort moral, quotidiennement renouvelé. Ils me font pitié, parfois, quand je vois leur esprit tendu sous l'effort d'attention, et leur corps qui résiste au naturel, pour monter, et parce qu'ils sentent le besoin d'avoir, selon leur expression si juste, "un cœur fort".

Récemment, je leur ai demandé de répondre à la question: pourquoi suis-je catéchumène? Tous ont affirmé leur volonté d'agir conformément à la "parole" qu'ils ont reconnu bonne, et qu'ils ont spontanément choisi. Différemment exprimées, leurs réponses étaient semblables.

P. E. Pasteur

Ces extraits sont parus dans le Journal des Missions de la SMEP (1920, pp. 287-288) sous le titre « Évangélisation dans la montagne. – La Fête de Mai. – Bonne volonté des catéchumènes ».

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Rapport de Paul Émile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris sur la station de Do-Néva (octobre 1920)
Do-Néva, 3 octobre 1920.

Il y a bientôt un an que nous sommes à Do-Néva. C'est encore peu pour apprécier les perspectives, c'est assez cependant pour entrevoir les possibilités et donner en tout cas un aperçu de l'état actuel.

I. - Œuvre religieuse

Il ne m'appartient pas de parler de l’œuvre religieuse dans l'ensemble de la Calédonie. L'activité de Do-Néva et des alentours immédiats est seule sous notre observation et nous permet quelques appréciations.

Nata. - Nous n'en avons pas à Do-Néva, sauf notre vieux Bosou, qui est ici plutôt comme intermédiaire entre Do-Néva et les tribus avoisinantes que comme nata en charge. Il est un peu le père de tout le monde, et son autorité de "vieux" s'étend sur tous les milieux. Il nous est précieux à cet effet.

Étudiants. - Ils étaient seize à notre arrivée, en novembre 1919. Avant le départ de M. Leenhardt, l'un d'eux est mort de maladie de poitrine. Deux autres ont pris le poste de nata, ou aide-nata, qui leur fut assigné par la conférence. Au printemps 1920, un quatrième est rentré momentanément dans sa tribu pour se soigner. En ce moment, il est remis, mais ne peut revenir pour difficultés de famille. Leur nombre est donc réduit à douze, dont trois Maré.

Parmi les Calédoniens, l'un d'eux n'est pas encore membre d'Église, mais suit régulièrement son instruction religieuse. Très indépendant du formalisme religieux indigène, il montre cependant des dispositions excellentes.

Catéchumènes. - Douze inscrits en janvier 1920. Un est parti dans sa tribu avant d'avoir achevé son instruction. Un autre est parti également après avoir été reçu membre de l'Église; il reviendra probablement bientôt en qualité d'étudiant. Une troisième, femme d'un étudiant, est partie avec son mari malade.

Il n'en reste ainsi que neuf, dont une fille de l'internat de Mlle Capt, et la femme de notre moniteur des travaux manuels.

Les Cultes. - Ils sont faits généralement par le missionnaire, sauf à l'occasion du passage d'un nata à Do-Néva.

L'école du dimanche est tenue par les étudiants, et présidée par l'étudiant de semaine, chargé de la responsabilité morale de la station. Un premier dimanche est consacré à l'étude d'un sujet, et le dimanche suivant à la récitation d’une portion du sujet, avec explication de ce qui reste incompris.

Les communions ont lieu le premier dimanche de chaque mois.

L'après-midi de chaque dimanche est consacré à l'étude du sujet traité au culte du matin. Cela revêt davantage le caractère d'une causerie, d'un entretien cordial entre tous, avec questions et réponses. Il y a parfois des questions posées qui étonnent et réjouissent; mais l'instant qui suit recouvre cet effort et ferait croire à une nuit complète, si l'on n'était certain que la lumière luit, quoiqu'elle reste invisible.

Le jeudi de chaque semaine avait lieu autrefois un culte du soir, avec réunion de prières, dit: culte des tirailleurs. On y entretenait le souvenir des soldats combattants ou déjà morts pour la Patrie. Aujourd'hui, ce culte subsiste, mais dans le but d'entretenir l'intérêt pour tout ce qui se fait d'extérieur, soit dans les tribus, soit au dehors de la Calédonie.

Histoire Sainte. - Pendant les classes, une leçon d'histoire sainte est donnée chaque semaine à tous les garçons et filles réunis.

II. - Œuvre scolaire

Garçons. - En novembre 1919, les internes garçons étaient au nombre de 34, dont 2 Marés arrivés en même temps que nous. Le départ de M. Leenhardt a entraîné une diminution de plusieurs unités. Heureusement quelques nouveaux arrivants ont comblé les vides, en sorte que, malgré le départ ou la mort de 12 garçons, leur nombre est aujourd'hui de 40 internes, dont 4 Marés.

Les externes, qui étaient 75 au début de l'année, sont descendus à la moitié de leur effectif à la fermeture des classes, fin août. Nous espérons les avoir à nouveau au complet à la rentrée.

Filles. - Dès l'arrivée de Mlle Capt, nous avons entreprise la création d'un internat de filles. Les deux difficultés principales étaient le logement et la nourriture. La nourriture a été fournie par les garçons et le sera jusqu'à ce que les plantations des filles rapportent assez pour qu'elles se suffisent à elles-mêmes.

Trop peu nombreuses, elles n'auraient pas fourni un travail suffisant pour leurs cultures. Trop nombreuses, elles auraient pesé trop lourdement sur la nourriture des garçons; il fallait trouver un juste milieu qui réponde aux deux exigences: travail et économie. Elles sont 17 pour l'instant. Plus tard, lorsque les cultures donneront leur plein, nous augmenterons peu à peu le nombre, dans la mesure des possibilités et des exigences locales.

Depuis un mois environ, les filles sont installées dans l'ancienne case d'un nata, remise en état et bien située pour sa destination: emplacement isolé, et cependant à proximité de Mlle Capt, installée au Fortin.

Une troisième difficulté surgit aussitôt, à propos de l'outillage nécessaire aux cultures des filles. Nous n'avions pas de budget, et cependant il leur fallait un certain nombre d'outils indispensables. Nous avons tourné la difficulté en renouvelant partiellement l'outillage des garçons, grâce à l'argent qu'ils ont gagné en travaillant quelques semaines à des déchargements. Nous avons pu ainsi abandonner aux filles une partie du vieil outillage, parfaitement conservé, mais ayant été fourni par la Mission.

De cette manière, les garçons ont fait don de 200 francs d'outils pour l'installation de l'internat des filles, sans compter leur travail de labour, et la construction de barrières pour la mise en valeur de leur future plantation, déjà en bonne voie de production.

D'autre part, les filles entretiennent les vêtements des garçons, ce qui leur donne une durée supérieure à celle du passé: économie nécessaire, à cause de la hausse constante des prix.

Développement. - Il y a certainement une grande différence entre le degré de développement des filles et des garçons du même âge. Nous cherchons avant tout à créer chez nos filles le goût de l'ordre, de la propreté et de l'économie.

Pour les garçons, cela diffère un peu, du fait que le champ de leurs perspectives, je dirais même de leurs devoirs sociaux, est bien plus vaste.

Ils ont à se libérer intérieurement et extérieurement, à devenir un peuple conscient de sa race et de sa mentalité propre. Pour devenir dignes de la confiance reconnaissante que leur ont valu les tirailleurs par leur belle attitude au front et à l'arrière, et pour mériter le titre de citoyen français, ils doivent étendre leur culture dans bien des domaines.

Matériel scolaire. - Pour obtenir les résultats désirés, il faudrait un matériel scolaire, sinon complet, du moins suffisant.

En ce moment, il n'y a plus de livres scolaires à Nouméa, pas plus que d'ardoises, et les cahiers sont hors de prix. Heureusement M. Benignus a rapporté de Maré un stock de cahiers qui fera l'année, je pense.

Pour suppléer au manque de livres (géographie, leçons de choses, etc…), les garçons écrivent les leçons préparées à l'avance de façon à former un cours complet qu'ils conserveront et utiliseront.

Tables. - Le mobilier actuel demande à être renouvelé pour la nouvelle école en construction. Il se résume en quelques tables et bancs, répartis entre l'école de filles, celle des garçons et les étudiants. C'est trop peu si l'on veut travailler sérieusement et avec suite.

Les cartes murales sont également bien détériorées, et demanderont à être bientôt remplacées.

Une chose essentielle manque, et j'espère bien l'obtenir sous peu: c'est une lanterne à projections, non pour plaques de verre, mais pour cartes postales, afin d'illustrer les leçons de choses, et de créer la curiosité des faits par l'image. Il existe de telles lampes dans le commerce, et, si quelques généreux amis des jeunes cherchaient une occasion de leur montrer de l'intérêt, ils en trouveraient là une excellente. Si non, les garçons travailleront une semaine de plus l'année prochaine pour se la procurer. Mais nous l'aurons.

Travaux manuels. - Si je compare avec le Congo, les conditions de travail ici sont bien meilleures, et le rendement infiniment supérieur. Alors qu'au Congo, tout travail demandé se paye, ici, il est absolument gratuit, ce qui offre des possibilités bien plus grandes.

Il est vrai que les garçons ne paient pas d'écolage, comme au Congo; mais, par contre, ils se nourrissent de leur travail, et s'habillent également avec de l'argent qu'ils gagnent, soit en plongeant le trocas, soit en déchargeant du charbon dans quelque entreprise voisine.

Ils ont même une caisse de réserve destinée à renouveler l'outillage cassé ou perdu, à améliorer leur ordinaire, à rembourser les pertes occasionnelles en boeufs de labour, âne, etc…

En dehors de la culture, il y a d'autres travaux qui leur incombent:

– Garde et traite du bétail - 13 têtes environ, dont deux vaches laitières et deux paires de bœufs de labour, une vingtaine de chèvres, deux chevaux, un âne, des veaux; le tout appartenant à la Mission. Ce troupeau a augmenté et augmentera encore, de manière à assurer l'alimentation régulière en viande des natas de passage, et lors des fêtes de mai et de Noël.

– Entretien de la sellerie, pour chevaux, âne, bœufs de labour.

– Service de marchandises, avec le canot à voile Mathata (3 matelots et un capitaine étudiant).

– Entretien du matériel: immeubles, charrette pour le transport des vivres, charrue, herse, et tout l'outillage en général, sous la direction du moniteur industriel. Ainsi, toute la grosse charpente de l'école a été sciée par les garçons et montée par eux, avec l'aide des étudiants…

Le grand travail en cours est l'achèvement de l'école en pierre, commencée par M. Leenhardt. Son emplacement, sur un marais, a obligé la construction de contreforts pour soutenir les murs. La toiture, avec couverture en tuiles rouges, est en voie d'achèvement. La consolidation des murs a retardé ce travail que nous espérions voir achevé fin août, mais qui le sera probablement pour Noël. Puis ce sera le tour du dortoir des garçons, qui tombe en ruines; déjà près de cent poteaux sont rassemblés à cet effet. Ensuite viendra un atelier qu'il faudra construire à proximité de l'école et du moniteur. L'atelier construit, il faudra le fournir en outils. Tous ces travaux, tant au point de vue du temps que de l'argent nécessaire, se répartiront sur plusieurs années, et n'avanceront que dans la mesure du rapport des cultures et du café, dont nous espérons doubler la production, afin d'augmenter l'influence éducative, sans, pour cela, faire appel à de nouveaux crédits. Au point de vue général, l'esprit est bon; il manque encore l'indépendance de la vie intérieure, alors qu'elle est déjà grande dans les manifestations cultuelles visibles. Il faut y tendre. Ce que nous espérons et poursuivons, ce ne sont pas des résultats visibles au premier examen, des progrès immédiats, mais la formation de quelques personnalités morales capables de faire souche et, par le levain de leur exemple, de faire lever toute la pâte calédonienne. Y réussirons-nous? Que chacun nous aide de son appui soutenu. P. E. Pasteur

Ce rapport est paru dans le Journal des Missions de la SMEP (1921, pp. 71-76) sous le titre « Rapport sur la station de Do-Néva ».

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Rapport de Paul Emile Pasteur à la Société des Missions évangéliques de Paris sur la station de Do-Néva (1921)
Il y a peu de temps, m’élevant de quelque cent mètres au-dessus de Dô-Néva, sur une pointe de rocher qui domine immédiatement notre maison, et regardant au loin, du côté de la mer, je me pris à penser qu’il serait bon de pouvoir, dans une description magistrale, faire partager à tous les amis de la Mission la joie intense que l’on éprouve parfois, dans une heure de détente, à contempler d’un point assez élevé, le mouvement paisible des choses et des gens. De là-haut, les choses apparaissent mieux dans ce qui dure, les détails s’effacent aussi bien pour ce qui réussit que pour ce qui manque, on a une vue d’ensemble, une vue de résultats, mais tout le travail caché, tous les efforts renouvelés ou vains, ne comptent pour rien dans le tableau. On ne voit que ce qui est, non pas ce qui aurait pu ou dû être.

Mais, hélas, il me serait aussi difficile de décrire ce que j’ai senti alors que de représenter la beauté d’un oiseau ou d’un insecte, par une description rigoureuse et nécessairement sans poésie. Il faudra donc par vous-mêmes, après avoir lu les détails de chaque organisme, vous faire un ensemble du tout et les multiples circonstances par lesquelles il faut passer pour arriver à un tel résultat.

Les multiples organismes de Dô-Néva forment un ensemble qui va du plus élémentaire matérialisme au spiritualisme le plus élevé, en passant par la colonisation, l’élevage, la pédagogie et l’éducation religieuse. C’est par la description du travail et du résultat de ces différents organismes que je me propose de vous donner une vue d'ensemble.

Cultures - Les cultures ont toujours été pour Dô-Néva une question de première importance, elles le sont devenues plus encore du fait de l'organisation d'un internat de filles et de l'augmentation toujours croissante de l'internat des garçons. Le gros effort qu'avaient dû donner les garçons l'année dernière pour subvenir aux besoins de l'internat des filles, effort qui s'est traduit par un travail plus discipliné, leur est rendu aujourd'hui par des cultures plus étendues et plus variées.

 - Le premier terrain acquis pour les garçons n'a pas cessé d'être mis en valeur. Les défrichages nouveaux ont étendu la surface des cultures à plus d'un hectare et agrandi la caféière dont le rapport sera augmenté d'ici quelques années. Le terrain est actuellement traversé par une route conduisant du chemin municipal à la tribu. Deux cases ont été construites, l'une pour recevoir le missionnaire en tournée, l'autre pour l'indigène gardien du terrain, la conservation des maïs, coprah, café récoltés sur le terrain et le remisage des outils. L'ancienne case servant au logement des garçons a été remise en état.

Bel-Air - Après les années de disette d’autrefois, et les difficultés sans nombre qu’occasionnaient les cultures dans les tribus, sur des terrains donnés avec des restrictions par les indigènes, le Bel-Air s'est présenté aux garçons comme une véritable terre de Canaan, propre à toutes les sortes de cultures, et assez vaste pour permettre le repos des terres après chaque récolte. De plus, ce terrain a l’avantage sur Tû d'être plus proche, et accessible même par temps d’inondation, sans parler du temps gagné à chaque voyage du bourricot ou de la voiture à bœufs. Maintenant que nous sommes certains de l’avenir quant à ce terrain, nous pourrons y entreprendre des cultures à longue échéance que nous n’avions pas osé tenter jusqu’à maintenant. Déjà sommes-nous heureux du fait que toutes les cultures entreprises par les étudiants en différents endroits soit en plein rapport soit en perspectives d'avenir n'auront pas à être abandonnées au bout d'un certain nombre d'années. Chacun a planté cette année de quoi subvenir partiellement à l'entretien des natas qui viendront pour la conférence.

Les Sapins - Le choix des terrains pour les cultures de l'internat des filles a présenté dès l'abord une double difficulté. Il fallait qu'il soit proche pour éviter les pertes de temps permettre une surveillance régulière, d'autre part, il leur fallait un terrain complètement indépendant du terrain des garçons, pour empêcher tous rapports possibles. Le Bel-Air était assez vaste, mais enclos dans son entrée d'une barrière séparant nettement le terrain des cultures de celui réservé comme pâturage, il ne se prêtait pas à un partage entre les 2 internats. Aussi avions-nous décidé de réserver pour l'internat des filles tous les terrains disponibles de l'autre côté de la rivière. Malheureusement, cette disponibilité était étroite et impropre aux cultures indigènes. Ce fut là l'origine de notre détermination d'achat du nouveau terrain que nous avons nommé "Les Sapins". Actuellement, les filles ont planté plus d'un hectare qui assure leur nourriture annuelle. Dans une autre partie du terrain les garçons ont planté un hectare pour les besoins extraordinaires. La caféière, sur laquelle nous comptons pour rembourser le prix du terrain, a été nettoyée et augmentée dans la mesure du possible et cette année déjà nous y avons récolté plus de 500 kilos de café qui, avec celui de Tû et de Dô-Néva, rapportera près de 2500 Frs. Un parc à cochon et un poulailler ont été construits sur ledit terrain et le bâtiment en pierre a été remis provisoirement en état habitable pour le gérant, parent de notre imprimeur.

Pour toutes ces cultures, il nous a fallu un outillage renouvelé et si la Mission y a contribué pour une part, les garçons en ont fourni une plus grande part encore par la vente d'un excédent de maïs et une partie d'un travail effectué dans les mines. Aujourd'hui que le nombre des garçons est encore augmenté, et que l'outillage est diminué par l'usure et la perte, il faudra faire l'acquisition de quelques unités. Vous verrez d'autre part par le rapport financier de M. Benignus, qu'en outre du café, les terrains ont rapporté un peu de coprah. Cette production ira en augmentant dans l'avenir, sinon dans le prix obtenu du moins dans la quantité récoltée.

Bétail et chevaux - Notre meilleur cheval est mort, usé par les nombreuses courses de M. Leenhardt, il a vieilli rapidement et est mort sans avoir pu guère travailler depuis le départ de son ancien maître en décembre 1919. Il a été remplacé par un autre de moindre valeur acquis par M. Benignus dans une de ses tournées et qui suffit aux besoins du moment. Le vieux cheval de M. Laffay est toujours le serviteur fidèle de Mlle Capt.

Malgré quelques sacrifices pour des occasions importantes, le gros bétail a augmenté sensiblement et se monte aujourd'hui à près de 40 têtes, veaux compris. Le troupeau de chèvre a atteint également le chiffre de 40. Nous remercions ici M. Leenhardt de son don primitif de 8 têtes de gros bétail et 15 chèvres qui nous ont permis de constituer une réserve d'alimentation représentant pour l'avenir une sérieuse économie pour la Mission et les nouveaux missionnaires.

En outre du bétail propriété de la Mission, nous avons une vingtaine de têtes dont les 2/3 du produit reviennent à la Mission. Un autre troupeau de 40 têtes est en location au Bel-Air.

Constructions et travaux - La construction de l’École Laffay n'a pas visiblement avancé, autant que nous l'aurions voulu. D'autres travaux urgents en ont été la cause.

– Construction d'un nouveau dortoir avec véranda et cuisine pouvant contenir 70 garçons.

– Nouveau sciage de poutres pour la véranda de l'école.

– Autre chantier dans la montagne pour sciage de bois dur pour encadrements des portes et fenêtres.

Néanmoins, l'état des travaux actuels est le suivant : crépissage des murs et blanchiment à la chaux achevé intérieurement. Le crépissage extérieur commencé. Deux portes achevées, 2 encadrements de fenêtre posés. Les autres en voie de construction. En ce moment, nous travaillons à l'achèvement de la véranda. Nous espérons inaugurer à l'arrivée de M. Leenhardt en septembre un bâtiment complètement achevé. Des circonstances indépendantes de notre volonté nous en empêcherons peut-être et nous obligerons dans ce cas à commencer l'école pendant les travaux en cours. Celle qui nous abrite en ce moment de pouvant plus durer au-delà sans danger pour la tête de chacun. Étayée de tous côtés, elle est une menace perpétuelle pour le matériel et les gens.

Étudiants et garçons ont travaillé ensemble à la construction d'une nouvelle barrière au Bel-Air entourant un terrain de cultures [de plus pour les?] étudiants et moniteurs. Une partie de ce terrain a été réservé aux cultures destinées à la conférence qui doit se réunir à Dô-Néva lors de l'arrivée de M. Leenhardt. Conférence qui réunira à la fois tous les natas et les nouveaux missionnaires. Un autre barrière avait été construite sur le terrain même de Dô-Néva en vue d'une plantation de cocotiers à laquelle nous avons renoncée à cause de l'augmentation du bétail et de l'acquisition du nouveau terrain des Sapins. Plusieurs case d'étudiants ont été reconstruites, d'autre réparées. En ce moment, 3 cases sont en construction pour les étudiants nouvellement arrivés. D'autres suivront d'ici peu. En vue de la récolte de café, nous avons commencé aux Sapins un grand séchoir cimenté afin de débarrasser notre maison de tout l'encombrement du travail de séchage, décorticage, triage, etc. Nous avons pu heureusement éviter des frais pour ce travail par la construction sur place d'une décortiqueuse avec ventilateur combiné.

Œuvre scolaire

Étudiants - Comme l'année dernière, l'école des étudiants a marché dans la mesure du possible et nous avons dû, pour notre part, l'abandonner plus encore aux soins des natas professeurs pour des circonstances qui nous ont accaparé par ailleurs. D'autre part, l'absence de l'un deux pour repos à Lifou a exigé un changement de programme qui, s'il a bouleversé quelque peu la marche régulière des choses, n'en a pas moins été l'occasion d'un renouvellement de pensée et d'études. Ce qui est le plus à regretter, c'est que les prix élevés du matériel scolaire et la diminution du budget nous ont empêché de leur accorder tout le nécessaire à la conservation des cours entendus.

Mais au moins, si les progrès sont lents, visiblement, ils se font en profondeur. C'est dans ce sens que nous avons donné tout notre effort. Depuis plusieurs mois, quelques nouvelle unités ont grossi la phalange de l'année dernière, ce qui porte à 17 le nombre des étudiants pour 1922. Des 12 étudiants qui m'avaient été confiés à mon arrivée, 11 sont encore ici actuellement, le 12e a été placé provisoirement dans une tribu nouvelle réclamant un nata. Les 5 nouveaux nous viennent de tribus de Canala, Monéo, Tchambo et Koné.

A côté du travail scolaire, le travail manuel a été aussi en progrès non pas tant comme rendement que comme cœur à l'ouvrage et initiative personnelle. Il est important pour de futurs natas d'être travailleur par habitude sinon par tempérament, afin d'entraîner plus tard la masse souvent inerte de leur Église. Et c'est assez difficile de leur faire comprendre qu'il y a autant de dignité pour eux et pour leur pays à savoir bien construire une case ou une église qu'à faire de long discours qui tiennent plus par la forme que par le fond.

Femmes - Nous avions remarqué dès le début l'immense fossé qui séparait les étudiants de leur femmes, intellectuellement parlant pour les unes, spirituellement pour les autres. Nous avons essayé par la création d'une école de femmes de combler cette lacune dans la mesure du possible. Quatre après-midi par semaine, sauf imprévus ou travaux urgents, elles se réunissent sous la direction de Mme Pasteur, soit pour le français, arithmétique, histoire sainte, couture et raccommodages. Cet effort nouveau qui leur est demandé semble les encourager et les rehausser à une dignité nouvelle. Elles ne sont plus seulement les femmes de leur époux, mais elles deviendront quelque chose par elles-mêmes qui peut avoir sa force et son autorité.

Garçons - Les garçons sont aujourd'hui au nombre de 58, dont l'un est actuellement en apprentissage de reliure à Nouméa en vue de l'installation future à Dô-Néva d'un atelier de cet ordre. Trois autres parmi les plus anciens sont exclusivement réservés au travail de charpente et menuiserie.. Ils ne suivent plus l'école que facultativement. Nous aurions voulu organiser des cours du soir pour ces externes et quelques élèves parmi les plus avancés en vue d'un développement essentiellement [du?] français. Le départ de notre moniteur principal ayant surchargé le programme de nos journées, nous y avons renoncé sans toutefois abandonné la perspective pour de meilleurs jours. Si la perte de notre moniteur a été un inconvénient grave quant à la surcharge de travail, elle m'a permis de voir les garçons de plus près, de les connaître mieux dans leurs bons et leurs mauvais jours. Ce qui me fait le plus plaisir en eux, ce n'est pas tant leurs progrès en français ou en arithmétique que leur bon esprit et leur discipline au travail. Si le nombre de garçons de l'internat a augmenté, celui des externes des tribus a décru sensiblement. Heureusement ceux qui nous restent sont l'espérance de demain et peut-être nous seront-ils plus longtemps fidèles que les anciens. Nous l'espérons sans top oser y compter.

L'école est actuellement mal logée - 4 classes dans la même salle, c'est plus qu'il n'en faut pour conserver une discipline silencieuse. Aussi vivons-nous sur l'espérance du nouveau bâtiment scolaire qui s'élève splendide mais lent, lent, lent. Nous n’avons rien changé à l’ordre habituel. Les classes se tiennent toujours les mardi, mercredi, jeudi, les autres jours étant suffisamment remplis par l’entretien des cultures et travaux généraux. Là aussi, comme chez les étudiants, le budget restreint et le prix élevé des marchandises nous ont privés de bien des facilités d’ordre pédagogique. Aussi avons-nous fait appel aux tribus qui, cette année déjà par un travail particulier, ont fourni plus de 2500 francs au budget scolaire. D’autre part, la suppression totale de sucre et de pain ainsi que de riz ou maïs acheté dans l’ordinaire des garçons, a contribué pour beaucoup à l’économie générale que M. Benignus vous indiquera d’autre part. Cette restriction de dépenses ne pourra pas se maintenir une autre année, car il est évident qu'une école neuve ne peut pas abriter du matériel usagé et peut-être aussi que quelques circonstances fortuites comme pertes ou mauvaises récoltes nous obligeraient à des achats de vivre à Nouméa. Nous tenons à dire en passant toute la reconnaissance que nous devons à M. Benignus de l'aide désintéressée et constante qu'il n'a cessé de nous témoigner par des achats et expéditions de toute nature ainsi que pour l'intérêt soutenu qu'il a porté à la cause de Dô-Néva.

Filles - L'internat des filles, s'il a prouvé sa viabilité dans ces années écoulées n'a pas encore étendu son influence dans toute la Calédonie. Il commence cependant à devenir un fait acquis parmi les natas qui en doutaient lors de sa création et si rien de fâcheux ne vient entacher sa réputation, il possèdera bientôt la confiance générale et deviendra une institution d'importance égale à l'internat des garçons. Mlle Capt vous dira d'autre part les résultats acquis et espérés.

Œuvre religieuse

L’œuvre religieuse dans son organisation intérieure n'a subi aucune modification si ce n'est la 1ère heure de 8 à 9 h du mardi matin devenue heure d'ouverture générale, où garçons et filles de Dô-Néva et des tribus sont encadrés de leurs aînés femmes et étudiants pour entendre la leçon d'histoire sainte. Ce qui serait plus intéressant de noter ici est le résultat même de cette œuvre religieuse dans les cœurs de ceux qui en sont les bénéficiaires. Mais ces résultats, s'ils sont visibles à l’observateur attentif et affectueux, ne sont pas exprimables à cause de leur évolution lente et subtile. Ce ne sont pas des conversions subites qui se produisent et qui s'exprimeraient par des paroles ou des larmes, mais ce serait plutôt comme une lente illumination de l’être tout entier, comparable au lever de l’aurore dans une gorge profonde. Les fronts se détendent, grandissent, s’éclairent; les yeux cessent de regarder à terre pour se lever peu à peu, confiants et plus joyeux. Mais nous n’avons pas le droit de nous bercer d'illusions et le travail est grand, très grand encore pour arracher le mensonge qui fait partie de la nature même de l’individu et qui dans le monde d'Église développé devient ni plus ni moins la diplomatie de chez nous dont tout l'art consiste à faire passer pour vrai ce qui ne l'est que peu ou pas du tout. Le vrai païen, plus obscur et brutal, est plus franc mais il est difficile d’en trouver encore dans les tribus voisines de Dô-Néva, où tout semble vouloir être classé dans l’une ou l’autre des religions catholiques ou protestantes sans cependant y adhérer complètement, soit par le baptême ou la fréquentation régulière du culte.

Chez les étudiants cependant, après quelques douloureux mois d’incertitude de leur part, ils semblent avoir compris que ce que nous attendons d’eux n'est pas une obéissance tacite seulement mais bien plutôt une recherche sérieuse et constante de ce qui en eux ne cadre pas avec le motif de leur présence à Dô-Néva.

Nous voudrions qu’à son arrivée M. Bergeret trouvât non pas des intellectuels ou même des hommes connaissant à fond leur Bible, mais des caractères sachant le pourquoi et le rôle de leur consécration.

Catéchumènes - Les catéchumènes représentent pour nous la récompense de l’effort donné. Ils ne sont pas par eux-mêmes un résultat, mais une promesse. Promesse de confiance, promesse de reconnaissance, promesse de compréhension de ce que nous attendons d’eux qui sont venus à Dô-Néva, non pour connaître seulement, mais pour apprendre à se diriger plus tard selon le seul élément de vie qui puisse les préserver du monde et de ses passions. Le dernier jour de l'année, 18 l'ont compris chez les garçons et 7 chez les filles, ce qui porte le nombre des catéchumènes à 21 garçons et 11 filles pour l'année 1922. Cela ne veut pas dire que 21 garçons et 11 filles aient été jugés dignes et capables d'être catéchumène, aucune pression n'ayant été faite sur eux. Ils se sont offerts spontanément ou amenés par les anciens qui avaient compris leur rôle en propageant les vérités reçues en eux. Que deviendront-ils? Tous comprendront-ils l’importance de leur nouvelle détermination? A Dieu seul appartient l’avenir; à nous de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour garder et développer ce que Son Esprit a fait lever.

Et maintenant, l’annonce de l’arrivée prochaine des nouveaux missionnaires et du retour de M. Leenhardt donnent à notre cœur un soulagement à la pensée que nous ne serons plus seuls, que tel ou tel organisme ne sera plus sacrifié au bénéfice d'un autre, ou que tous ensemble ne seront pas incomplètement maintenus. Notre programme était de maintenir en état tout ce que M. Leenhardt nous avait laissé à son départ. Nous croyons n’y avoir pas failli et toujours travaillé dans la mesure de nos forces à conserver un Dô-Néva digne du missionnaire qui le reprendra.

P. E. Pasteur

Des extraits de ce rapport sont parus dans le Journal des Missions de la SMEP (1922, pp. 405-409) sous le titre « Extraits du Rapport de M. Pasteur sur l’œuvre de Do-Néva en 1921 ».

Source : Archives familiales et archives de la SMEP, DEFAP, Paris.

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