Extrait de l’EncyclopĂ©die, ou Dictionnaire RaisonnĂ© des Sciences, des Arts et des MĂ©tiers de Diderot et d’Alembert. Paris, 1756.
L’exĂ©cuteur de la haute justice, (Jurifpr.) eft celui qui exĂ©cute les jugemens qui condamnent les criminels Ă mort ou Ă quelque peine afflictive.
On l’appelle exĂ©cuteur de la haute juftice, parce que les hauts-jufticiers, ce qui comprend auffi les juges royaux, font les feuls qui ayent ce que l’on appelle jus gladii, droit de mettre Ă mort.
On l’appelle auffi d’un nom plus doux, maĂ®tre des hautes oeuvres; Ă caufe que la plĂ»part des exĂ©cutions Ă mort, ou autres peines afflictives, fe font fur un Ă©chafaud ou au haut d’une potence, Ă©chelle ou pilori.
Mais le nom qu’on lui donne vulgairement eft celui de bourreau.
Quelques-uns tiennent que ce mot eft celtique ou ancien gaulois; &, en effet, les bas Bretons, chez lefquels ce langage s’eft le mieux confervĂ© fans aucun mĂ©lange, fe fervent de ce terme, & dans le mĂŞme fens que nous lui donnons. D’autres le font venir de l’italien sbirro ou birro, qui fignifie un archer ou fatellite du prevot, dont la fonction eft rĂ©putĂ©e infâme. On en donne encore d’autre Ă©tymologies, mais qui n’ont rien de vraifemblable.
Il n’y avoit point de bourreau ou exĂ©cuteur en titre chez les IfraĂ©lites; Dieu avoit commandĂ© Ă ce peuple que les fentences de mort fuffent exĂ©cutĂ©es par tout le peuple, ou par les accufateurs du condamnĂ©, ou par les parens de l’homicide, fi la condamnation Ă©toit pour homicide, ou par d’autres perfonnes femblables, felon les circonftances, Le prince donnoit fouvent Ă ceux qui Ă©toient auprès de lu, & fur-tout aux jeunes gens, la commiffion d’aller mettre quelqu’un Ă mort, on en trouve nombre d’exemples dan l’Écriture; & loin qu’il y eĂ»t aucune infamie attachĂ©e Ă ces exĂ©cutions, chacun fe faifoit un mĂ©rite d’y avoir part.
Il y avoit auffi chez les Juifs des gens appellĂ©s tortores, qui Ă©toient Ă©tablis pour faire fubir aux criminels les tortures ou peines auxquelles ils Ă©toient condamnĂ©s: quelquefois ils fe fervoient de certains fatellites de leurs prĂ©fets, nommĂ©s fpiculatores, parce qu’ils Ă©toient armĂ©s d’une efpece de javelot ou pique; mais il femble que l’on ne fe fervoit de ceux-ci que lorfqu’il s’agiffoit de mettre Ă mort fur le champ, comme de couper la tĂŞte, & non pas lorfqu’il s’agiffoit de foĂĽetter, ou faire fouffrir autrement les criminels: c’eft de-lĂ que l’exĂ©cuteur de la haute juftice eft nommĂ© parmi nous en latin tortor, fpiculator: on l’appelle auffi carnifex.
Chez les Grecs cet office n’Ă©toit point mĂ©prifĂ©, puifqu’Ariftote, liv. VI. de fes Politiques, chap. dernier, le met au nombre des magiftrats. Il dit mĂŞme que par rapport Ă fa nĂ©ceffitĂ©, on doit le tenir pour un des principaux offices.
Les magiftrats romains avoient des miniftres ou fatellites appellĂ©s lictores, licteurs, qui furent inftituĂ©s par Romulus, ou mĂŞme, felon d’autres, par Janus; ils marchoient devant les magiftrats, portant des haches enveloppĂ©es dans des faifceaux de verges ou baguettes. Les confuls en avoient douze; les proconfuls, prĂ©teurs & autres magiftrats en avoient feulement fix; ils faifoient tout-Ă -la-fois l’office de fergent & de bourreau. Ils furent nommĂ©s licteurs, parce qu’ils lioient les piĂ©s & les mains des criminels avant l’exĂ©cution; ils dĂ©lioient leurs faifceaux de verges, foit pour foĂĽetter les criminels, foit pour trancher la tĂŞte.
On fe fervoit auffi quelquefois d’autres perfonnes pour les exĂ©cutions; car Ciceron, dans le feptieme de fes Verrines, parle du portier de la prifon, qui faifoit l’office de bourreau pour exĂ©cuter les jugemens du prĂ©teur; aderat, dit-il, janitor carceris, carnifex pratoris, mors, terrorque fociorum, & civium lictor. On fe fervoit mĂŞme quelquefois du miniftere des foldats pour l’exĂ©cution des criminels, non-feulement Ă l’armĂ©e, mais dans la ville mĂŞme, fans que cela les dĂ©shonorât en aucune maniere.
Adrien Beyer, qui Ă©toit penfionnaire de Roterdam, fait voir dans un de fes ouvrages, dont l’extrait eft au journal des Savans de 1703, p. 88. qu’anciennement les juges exĂ©cutoient fouvent eux-mĂŞmes les condamnĂ©s; il en rapporte plufieurs exemples tirĂ©s de l’hiftoire facrĂ©e & profane; qu’en Efpagne, en France, Italie & Allemagne, lorfque plufieurs Ă©toient condamnĂ©s au fupplice pour un mĂŞme crime, on donnoit la vie Ă celui qui vouloit bien exĂ©cuter les autres; qu’on voit encore au milieu de la ville de Gand deux ftatues d’airain d’un pere & d’un fils convaincus d’un mĂŞme crime, oĂą le fils fervit d’exĂ©cuteur Ă fon pere; qu’en Allemagne, avant que cette fonction eĂ»t Ă©tĂ© Ă©rigĂ©e en titre d’office, le plus jeune de la communautĂ© ou du corps de ville en Ă©toit chargĂ©; qu’en Franconie c’Ă©toit le nouveau mariĂ©, qu’Ă Reutlingue, ville impĂ©riale de Suabe, c’Ă©toit le confeiller dernier reçu; & Ă Stedien, petite ville de Thuringe, celui des habitans que Ă©toit de dernier habituĂ© dans le lieu.
On dit que Witolde, prince de Lithuanie, introduifit chez cette nation que le criminel condamnĂ© Ă mort eĂ»t Ă fe dĂ©faire lui-mĂŞme de fa main, trouvant Ă©trange qu’un tiers, innocent de la faute, fĂ»t employĂ© & chargĂ© d’un homicide; mais fuivant l’opinion commune, on ne regarde point comme un homicide, ou du moins comme un crime, l’exĂ©cution Ă mort qui eft faite par le bourreau, vĂ» qu’il ne fait qu’exĂ©cuter les ordres de la juftice, & remplir un miniftere nĂ©ceffaire.
Puffendorf, en fon traitĂ© du droit de la nature & des gens, met le bourreau au nombre de ceux que les lois de quelques pays excluent de la compagnie des honĂŞtes gens, ou qui ailleurs en font exclus par la coĂ»tume & l’opinion commune; & Beyer, que nous avons dĂ©jĂ citĂ©, dit qu’en Allemagne la fonction de bourreau eft communĂ©ment jointe au mĂ©tier d’Ă©corcheur; ce qui annonce qu’on la regarde comme quelque chofe de très-bas.
Il y a lieu de croire que ce qu’il dit ne doit s’appliquer qu’Ă ceux qui font les exĂ©cutions dans les petites villes, & qui ne font apparemment que des valets ou commis des exĂ©cuteurs en titre Ă©tablis dans les grandes villes; car il eft notoire qu’en Allemagne ces fortes d’officiers ne font point rĂ©putĂ©s infâmes, ainfi que plufieurs auteurs l’ont obfervĂ©: quelques-uns prĂ©tendent mĂŞme qu’en certains endroits d’Allemagne le bourreau acquiert le titre & les privilèges de nobleffe, quand il a coupĂ© un certain nombre de tĂŞtes, portĂ© par la coĂ»tume du pays.
Quoi qu’il en foit de ce dernier ufage, il eft certain que le prĂ©jugĂ© oĂą l’on eft en France & ailleurs Ă cet Ă©gard, eft bien Ă©loignĂ© de la maniere dont le bourreau eft traitĂ© en Allemagne. Cette diffĂ©rence eft fur-tout fenfible Ă Strasbourg, oĂą il y a deux exĂ©cuteurs, l’un pour la juftice du pays, l’autre pour la juftice du roi: le premier, qui eft allemand, y eft fort confidĂ©rĂ©: l’autre au contraire, qui eft françois, n’y eft pas mieux accueilli que dans les autres villes de France.
Les gens de ce mĂ©tier font auffi en poffeffion de remettre les os difloquĂ©s ou rompus, quoique le corps des Chirurgiens fe foit fouvent plaint de cette entreprife; il eft intervenu diffĂ©rentes fentences qui ont laiffĂ© le choix Ă ceux qui ont des membres difloquĂ©s ou dĂ©mis, de fe mettre entre les mains des Chirurgiens, ou en celles du bourreau pour les fractures ou luxations feulement, Ă l’exclufion de toutes autres opĂ©rations de Chrirugie: il en eft de mĂŞme en France dans la plĂ»part des provinces.
Beyer dit encore que quelques auteurs ont mis au nombre des droits rĂ©galiens, celui d’accorder des provifions de l’office d’exĂ©cuteur. Il ajoĂ»te que ceux qui ont droit de juftice, n’ont pas tous droit d’avoir un exĂ©cuteur, mais feulement ceux qui ont merum imperiusp, qu’on appelle droit de glaive ou juftice de fang.
En France, le roi eft le feul qui ait des exĂ©cuteurs de juftice, lefquels font la plĂ»part en titre d’office ou par commiffion du roi. Ces offices, dit Loyfeau, font les feuls auxquels il n’y a aucun honneur attachĂ©; ce qu’il attribue Ă ce que cet office, quoique très-nĂ©ceffaire, eft contre nature. Cette fonction eft mĂŞme rĂ©gardĂ©e comme infâme; c’eft pourquoi quand les lettres du bourreau font fcellĂ©es, on les jette fous la table.
Les feigneurs qui ont haute-juftice, n’ont cependant point de bourreau, foit parce qu’ils ne peuvent crĂ©er de nouveaux offices, foit Ă caufe de la difficultĂ© qu’il y a de trouver des gens pour remplir cette fonction. Lorfqu’il y a quelqu’exĂ©cution Ă faire dans une juftice feigneuriale, ou mĂŞme dans une juftice royale pour laquelle il n’y a pas d’exĂ©cuter, on fait venir celui de la ville la plus voifinĂ©.
Barthole fur la loi. 2. ff. de publicis judicĂĽs, dit que fi l’on manque de bourreau, le juge peut abfoudre un criminel, Ă condition de faire cette fonction, foit pour un tems, foit pendant toute fa vie; & dans ce dernier cas celui qui eft condamnĂ© Ă faire cette fonction, eft proprement fervus poena: il y en a un arrĂŞt du parlement de Bordeaux, du 13 Avril 1674. Voyez la Peyrere, lett. E.
Si le juge veut contraindre quelqu’autre perfonne Ă remplir cette fonction, il ne le peut que difficilement, Gregorius Tolofanus dit, vix poteft. Paris de Puteo, en fon traitĂ© de fyndico, au mot manivoltus, dit que fi on prend pour cela un mendiant ou autre perfonne vile, il faut lui payer cinq Ă©cus pour fon falaire, quinque aureos.
Il s’Ă©leva en l’Ă©chiquier tenu Ă Rouen Ă la S. Michel, 1312, une difficultĂ© par rapport Ă ce qu’il n’y avoit point d’exĂ©cuter, ni perfonne qui en voulĂ»t faire les fonctions. Pierre de Hangeft, qui pour lors Ă©toit bailli de Rouen, prĂ©tendit que cela regardoit les fergens de la vicomtĂ© de l’eau; mais de leur part ils foĂ»tinrent avec fermetĂ© qu’on ne pouvoit exiger d’eux une pareille fervitude; que leurs prĂ©dĂ©ceffeurs n’en avoient jamais Ă©tĂ© tenus, & qu’ils ne s’y affĂ»jettiroient point; qu’ils Ă©toient fergens du roi, & tenoient leurs fceaux de Sa MajeftĂ©; que par leurs lettres il n’Ă©toit point fait mention de pareille chofe. Ce dĂ©bat fut portĂ© Ă l’Ă©chiquier, oĂą prĂ©fidoit l’Ă©vĂ©que d’Auxerre, oĂą il fut dĂ©cidĂ© qu’ils n’Ă©toient pas tenus de cette fonction; mais que dans le case oĂą il ne fe trouveroit point d’executeur, ils feroient obligĂ©s d’en aller chercher un, quand bien mĂŞme ils iroient au loin, & que ce feroit aux dĂ©pens du roi, Ă l’effet de quoi le receveur du domaine de la vicomtĂ© de Rouen feroit tenu de leur mettre entre les mains les deniers nĂ©ceffaires.
Cependant un de mes confreres, parfaitement inftruit des ufages du parlement de Rouen, oĂą il a fait long-tems la profeffion d’avocat, m’a affurĂ© qu’on tient pour certain dans ce parlement, que le dernier des huiffiers ou fergens du premier juge peut ĂŞtre contraint, lorfqu’il n’y a point de bourreau, d’en faire les fonctions. Comme ces cas arrivent rarement, on ne trouve pas aifĂ©ment des autoritĂ©s pour les appuyer.
En parcourant les comptes & ordinaires de la prĂ©vĂ´tĂ© de Paris, rapportĂ©s par Sauval, on trouve que c’Ă©toient communĂ©ment des fergens Ă verge du châtelet qui faifoient l’office de tourmenteur jurĂ© du roi au châtelet de Paris. Ce mot tourmenteur vĂ©noit du latin tortor, que l’on traduit fouvent par le terme de bourreau. Ces tourmenteurs jurĂ©s faifoient en effet des fonctions qui avoient beaucoup de rapport avec celles du bourreau. C’Ă©toient eux, par exemple, qui faifoient la dĂ©penfe & les prĂ©paratifs nĂ©ceffaires pour l’exĂ©cution de ceux qui Ă©toient condamnĂ©s au feu; ils fourniffoient auffi les demi-lames ferrĂ©es ou on expofoit les tĂŞtes coupĂ©es fur l’echafaud: enfin on voit qu’ils fourniffoient un fac pour mettre le corps de ceux qui avoient Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©s Ă mort, comme on voit par les comptes de 1439, 1441 & 1449.
Cependant il eft conftant que cet office de tourmenteur jurĂ© n’Ă©toit point le mĂŞme que celui de bourreau: ce tourmenteur Ă©toit le mĂŞme officier que l’on appelle prĂ©fentement queftionnaire.
Il eft vrai que dans les juftices oĂą il n’y a point de queftionnaire en titre, on fait fouvent donner la queftion par le bourreau. On fait nĂ©anmoins une diffĂ©rence entre la queftion prĂ©paratoire & la queftion dĂ©finitive; la premiere ne doit pas ĂŞtre donnĂ©e par la main du bourreau, afin de ne pas imprimer une note d’infamie Ă celui qui n’eft pas encore condamnĂ© Ă mort: c’eft apparemment l’efpirt de l’arrĂŞt du 8 Mars 1624, rapportĂ© par Baffet, tome l. liv. VI. tit. xij. ch. ij. qui jugea que la queftion prĂ©paratoire ne devoit pas ĂŞtre donnĂ©e par le bourreau, mais par un fergent ou valet du concierge: il paroit par-lĂ qu’il n’y avoit pas de queftionnaire en titre.
Pour revenir au châtelet, les comptes dont on a dĂ©jĂ parlĂ© juftifient que les tourmenteurs jurĂ©s n’Ă©toient pas les mĂŞmes que le bourreau; celui-ci eft nommĂ© maĂ®tre de la haute juftice du roi, en quelques endroits exĂ©cuteur de la haute juftice & bourreau.
Ainfi dans un compte du domaine de 1417, on couche en dĂ©penfe 45 f. parifis payĂ©s Ă Etienne le BrĂ©, maĂ®tre de la haute juftice du roi notre fire, tant pour avoir fait les frais nĂ©ceffaires pour faire bouillir trois faux monnoyeurs, que pour avoir Ă´tĂ© plufieurs chaĂ®nes Ă©tant aux poutres de la juftice de Paris, & les avoir rapportĂ©es en fon hĂ´tel: c’Ă©toit le langage du tems.
Dans un autre compte de 1425, on porte 20 fols payés à Jean Tiphanie, exécuteur de la haute juftice, pour avoir dépendu & enterré des criminels qui étoient au gibet.
Le compte de 1446 fait mention que l’on paya Ă Jean Dumoulin, fergent Ă verge, qui Ă©toit auffi tourmenteur jurĂ©, une fomme pour acheter Ă fes dĂ©pens trois chaĂ®nes de fer pour attacher contre un arbre près du Bourg-la-Reine, & lĂ pendre & Ă©trangler trois larrons condamnĂ©s Ă mort. On croiroit jufque-lĂ que celui qui fit tous ces prĂ©paratifs, Ă©toit le bourreau; mais la fuite de cet article fait connoĂ®tre le contraire, car on ajoĂ»te: & pour une Ă©chelle neuve oĂą lefdits trois larrons furent montĂ©s par le bourreau qui les exĂ©cuta & mit Ă mort, &c.
En effet, dans les comptes des annĂ©es fuivantes il eft parlĂ© plufieurs fois de l’exĂ©cuteur de la haute juftice, lequel, dans un compte de 1472, eft nommĂ© maĂ®tre des hautes-oeuvres; & l’on voit que le fils avoit fuccĂ©dĂ© Ă fon pere dans cet emploi: & en remontant au compte de 1465, on voit qu’il avoit Ă©tĂ© fait une exĂ©cution Ă Corbeil.
On trouve encore dans le compte de 1478, que l’on paya Ă Pierre Philippe, maĂ®tre des baffes-oeuvres, une fomme pour avoir abattu l’Ă©chafaud du pilori, avoir rabattu les tuyaux oĂą le fang coule audit Ă©chafaud, blanchi iceux & autres chofes femblables, qui ont affez de rapport aux fonctions de l’exĂ©cuteur de la haute juftice: ce qui pourroit d’abord faire croire que l’on a mis, par erreur, maĂ®tre des baffes – oeuvres pour maĂ®tre des hautes – oeuvres; mais tout bien examinĂ©, il paroĂ®t que l’on a en effet entendu parler du maĂ®tre des bafffes – oeuvres que l’on chargeoit de ces rĂ©parations, fans-doute comme Ă©tant des ouvrages vils que perfonne ne vouloit faire, Ă caufe du rapport que cela avoit aux fonctions du bourreau.
Du tems de faint Louis il y avoit un bourreau fĂ©melle pour les femmes: c’eft ce que l’on voit dans une ordonnance de ce prince contre les blafphĂ©mateurs, de l’annĂ©e 1264, portant que celui qui aura mesfait ou mefdit, fera battu par la juftice du lieu tout de verges en appert; c’eft Ă fçavoir li hommes par hommes, & la femme par feules femmes, fans prĂ©fence d’hommes. TraitĂ© de la Pol. tome I. p. 546.
Un des droits de l’exĂ©cuteur de la haute juftice, eft d’avoir la dĂ©pouille du patient, ce qui ne s’eft pourtant pas toĂ»jours obfervĂ© par-tout de la mĂŞme maniere; car en quelques endroits les fergens & archers avoient cette dĂ©pouille, comme il paroĂ®t par une ordonnance du mois de Janvier, 1304, rendue par le juge & courier de la juftice fĂ©culiere de Lyon, de l’ordre de l’archevĂŞque de cette ville, qui dĂ©fend aux bedeaux ou archers de dĂ©pouiller ceux qu’ils mettoient en prifon, fauf au cas qu’ils fuffent condamnĂ©s Ă mort, Ă ces archers d’avoir les habits de ceux qui auroient Ă©tĂ© exĂ©cutes.
L’exĂ©cuteur de la haute juftice avoit autrefois droit de prife, comme le roi & les feigneurs, c’eft-Ă -dire de prendre chez les uns & les autres, dans les lieux oĂą il fe trouvoit, les provifions qui lui Ă©toient nĂ©ceffaires, en payant nĂ©anmoins dans le tems du crĂ©dit qui avoit lieu pour ces fortes de prifes. Les lettres de Charles VI du 5 Mars 1398, qui exemptent les habitans de Chailly & de Lay près Paris, du droit de prife, dĂ©fendent Ă tous les maĂ®tres de l’hĂ´tel du roi, Ă tous fes fouriers; chevaucheurs (Ă©cuyers), Ă l’exĂ©cuteur de la haute juftice, & Ă tous nos autres officiers, & Ă ceux de la reine, aux princes du fang, & autres qui avoient accoutumĂ© d’ufer de prifes, d’en faire aucunes fur lefdits habitans. L’exĂ©cuteur fe trouve lĂ , comme on voit, en bonne compagnie.
Il eft encore d’ufage en quelques endroits, que l’exĂ©cuteur perçoive gratuitement certains droits dans les marchĂ©s.
Un recueil d’ordonnances & ftyle du châtelet de Paris, imprimĂ© en 1530, gothique, fait mention que le bourreau avoit Ă Paris des droits fur les fruits, verjus, raifins, noix, noifettes, foin, oeufs & laine; fur les marchands forains pendant deux mois; un droit fur le paffage du Petit-pont, fur les chaffe-marĂ©es, fur chaque malade de S. Ladre, en la banlieue; fur les gateaux de la veille de l’Épiphanie; cinq fols de chaque piloriĂ©; fur les vendeurs de creffon, fur les pourceaux, marĂ©es, harengs: que fur les pourceaux qui couroient dans Paris, il prenoit la tĂŞte ou cinq fols, exceptĂ© fur ceux de S. Antoine. Il prenoit auffi des droits fur les balais, fur le poiffon d’eau douce, chenevis, fenevĂ©; & fur les jufticiĂ©s tout ce qui eft au-deffous de la ceinture, de quelque prix qu’il fĂ»t. PrĂ©fentement la dĂ©pouille entiere du patient lui appartient.
Sauval en fes antiquitĂ©s de Paris, tome Il. p. 457, titre des redevances fingulieres dĂ»es par les ecclĂ©fiaftiques, dit que les religieux de S. Martin doivent tous les ans Ă l’exĂ©cuteur de la haute juftice cinq pains & cinq bouteilles de vin, pour les exĂ©cutions qu’il fait fur leurs terres; mais que le bruit qui court que ce jour-lĂ ils le faifoient dĂ®ner avec eux dans le refectoire; fur une petite table que l’on y voir, eft un faux bruit.
Que les religieux de fainte Genevieve lui payent encore cinq fols tous les ans le jour de leur fĂŞte, Ă caufe qu’il ne prend point le droit de havĂ©e, qui eft une poignĂ©e de chaque denrĂ©e vendue fur leurs terres.
Que l’abbĂ© de Saint-Germain-des-PrĂ©s lui donnoit autrefois, le jour de S. Vincent patron de fon abbaye, une tĂŞte de pourceau, & le faifoit marcher le premier Ă la proceffion.
Que du tems que les religieux de Petit-Saint-Antoine nourriffoient dans leur porcherie près l’Ă©glife des pourceaux qui couroient les rues, & que ceux qui en nourriffoient Ă Paris n’ofoient les faire fortir, tout autant que le bourreau en rencontroit, il les menoit Ă l’hĂ´tel-Dieu, & la tĂŞte Ă©toit pour lui, ou bien on lui donnoit cinq fous; que prĂ©lentement il a encore quelques droits fur les denrĂ©es Ă©talĂ©es aux halles & ailleurs les jours de marchĂ©.
Ces droits, dont parle Sauval, font ce que l’on appelle communĂ©ment havage, & ailleurs havĂ©e, havagium, havadium, vieux mot qui fignifie le droit que l’on a de prendre fur les grains dans les marchĂ©s autant qu’on en peut prendre avec la main. Le bourreau de Paris avoit un droit de havage dans les marchĂ©s, & Ă caufe de l’infamie de fon mĂ©tier, on ne lui laiffoit prendre qu’avec une cuillere de ferblanc, qui fervoit de mefure. Ses prĂ©pofĂ©s qui percevoient ce droit dans les marchĂ©s, marquoient avec la craie fur le bras ceux & celles qui avoient payĂ© ce droit, afin de les reconnoĂ®tre: mais comme la perception de ce droit occafionnoit dans les marchĂ©s de Paris beaucoup de rixe entre les prĂ©pofĂ©s du bourreau & ceux qui ne vouloient pas payer ou fe laiffer marquer, il a Ă©tĂ© fuprimĂ© pour Paris depuis quelques annĂ©es.
L’exĂ©cuteur de la haute-juftice de Pontoife avoit auffi le mĂŞme droit; mais par accommodement il appartient prĂ©fentement Ă l’hĂ´pital-gĂ©nĂ©ral.
Il y a nĂ©anmoins encore plufieurs endroits dans le royaume oĂą le bourreau perçoit ce droit; & dans les villes mĂŞmes oĂą il n’y a pas de bourreau, lorfque celui d’une ville voifine vient y faire quelque exĂ©cution, ce qui eft ordinairement un jour de marchĂ©, il perçoit fur les grains & autres denrĂ©es fon droit de havage ou havĂ©e.
L’exĂ©cuteur ne fe faifit de la perfonne du condamnĂ© qu’après avoir oui le prononcĂ© du jugement de la condamnation.
Il n’eft pas permis de le troubler dans fes fonctions, ni au peuple de l’infulter; mais lorfqu’il manque Ă fon devoir, on le punit felon la juftice.
Sous Charles VII, en 1445, lors de la ligue des Armagnacs pour la maifon d’OrlĂ©ans contre les Bourguignons; le bourreau Ă©toit chef d’une troupe de brigands: il vint offrir fes fervices au duc de Bourgogne, & eut l’infolence de lui toucher la main, M. Duclos, en fon hiftoire de Louis XI, fait Ă cette occafion une rĂ©flexion, qui eft que le crime rend prefque Ă©gaux ceux qu’il affocie.
Lorfque les fureurs de la ligue furent calmées, & que les affaires eurent repris leur cours ordinaire, le bourreau fur condamné à mort pour avoir pendu le célebre préfident Briffon, par ordre des ligueurs, fans forme de procès.
Il n’eft pas permis au bourreau de demeurer dans l’enceinte de la ville, Ă moins que ce ne foit dans la maifon du pilori, oĂą fon logement lui eft donnĂ© par fes provifions: comme il fut jugĂ© par un arrĂŞt du parlement du 31 AoĂ»t 1709.
Cayron, en fon ftyle du parlement de Touloufe, I. Il. tit. jv. dit que l’exĂ©cuteur de la haute-juftice doit mettre la main Ă tout ce qui dĂ©pend des excès qui font capitalement puniffables; comme Ă la mort, fuftigation & privation de membres, tortures, gehennes, amendes honorables, & banniffement en forme, la hart au cou; car, dit-il, ce font des morts civiles.
Cette notion qu’il donne des exĂ©cutions qui doivent ĂŞtre faites par la main du bourreau, n’eft pas bien exacte; le bourreau doit exĂ©cuter tous les jugemens, foit contradictoires ou par contumace, qui condamnent Ă quelque peine, en portant mort naturelle ou civile, ou infamie de droit: ainfi c’eft lui qui exĂ©cute tous les jugemens emportant peine de mort ou mutilation de membres, marque & fuftigation publique, amende honorable in figuris. Il exĂ©cute auffi le banniffement, foit hors du royaume, ou feulement d’une ville ou province, lorfque ce banniffement eft prĂ©cĂ©dĂ© du quelque autre peine, comme du foĂĽet, ainfi que cela eft affez ordinaire; auquel cas, après avoir conduit le criminel jufqu’Ă la porte de la ville, il lui donne un coup du piĂ© au cul en figne d’explufion.
Le bourreau n’affifte point aux amendes honorables qu’on appelle feches.
Ce n’eft point lui non plus qui fait les exĂ©cutions fous la cuftode, c’eft-Ă -dire dans la prifon; telles que la peine du carcan & du foĂĽet, que l’on ordonne quelquefois pour de legers dĂ©lits commis dans la prifon, ou Ă l’Ă©gard d’enfans qui n’ont pas encore atteint l’âge de pubertĂ© : ces exĂ©cutions fe font ordinairement par le queftionnaire, on par quelqu’un des geoliers ou guichetiers.
Pour ce qui eft de la queftion ou torture, voyez, ce qui en a été dit-ci-devant.
Enfin le bourreau exĂ©cute toutes les condamnations Ă mort, rendues par le prĂ©vĂ´t de l’armĂ©e; il exĂ©cute auffi les jugemens Ă mort, ou autre peine afflictive, rendues parle confeil-de-guerre, Ă l’exception de ceux qu’il condamne Ă ĂŞtre paffĂ©s par les armes, ou par les baguettes.
Source : EncyclopĂ©die, ou Dictionnaire RaisonnĂ© des Sciences, des Arts et des MĂ©tiers de Diderot et d’Alembert. Paris, 1756.
Voir aussi: