Faire école de la construction d’une école
Les apparences sont souvent trompeuses. Ainsi, à Do Néva, près de Houaïlou, il existe au bord de la route un vieux bâtiment, massif et laid, dans lequel on faisait encore la classe l’année dernière. On voit bien que la construction est ancienne et solide, mais délabrée et sans grâce. Pourtant, voici environ 70 ans, c’était la première école protestante construite par les mélanésiens eux-mêmes pour accueillir et former les « natas » du pasteur Leenhardt. A l’époque, elle était belle. Et elle peut le redevenir.
La construction de la « vielle école », comme on dit à Do Néva, avait été lancé par Maurice Leenhardt en 1918, après la fin de la première guerre mondiale. « Dans le but de combattre le découragement occasionné par la longue absence des tirailleurs, dont un grand nombre est mort« , écrit à l’époque Paul Émile Pasteur, arrivé à Do Néva en 1919 et qui supervisera la fin de la construction, Maurice Leenhardt ayant lui même quitté Houaïlou pour quelques années au moment où « les murs étaient élevés jusqu’en haut, la charpente entièrement sciée et les tuiles à pied d’oeuvre« .
Les plans initiaux avaient été signés de Paul Laffay, et c’est d’ailleurs sous ce nom d’école Laffay que le vieux bâtiment a été classé en janvier par la Province Nord, étape préalable à sa restauration dans sa forme d’origine. A cet égard, Do Néva dispose d’un solide dossier, composé de textes, de dessins en couleurs contemporains de la construction, de photos, de plans, d’esquisses et de croquis annotés. Charpente, boiseries intérieures et même le vitrail aujourd’hui disparu sont encore là, intacts, sur des papiers vieux de 70 ans, à côté de calculs de résistance de matériaux, de détails d’assemblage, etc. Nombre de ces pièces d’archives viennent du centre de documentation sur Do Néva, mais le classement de l’école a incité les responsables de l’établissement à solliciter en métropole les familles Leenhardt et Pasteur. C’est ainsi que de nouvelles pièces concernant l’école sont venues enrichir les premières, pour permettre la restauration. On attend, à cet égard, le rapport de l’architecte en chef des Monuments historiques, M. Gabor Mester de Paradj, venu à Houaïlou l’été dernier et dont les conclusions permettront à la province d’orienter son action.
Six ans de travaux
Si l’avenir est encore imprécis, le passé s’éclaire de témoignages. Ainsi, l’école est mentionnée dans nombre de lettres ou de compte rendus adressés à la Société des missions de Paris, entre 1920 et 1924. On peut y suivre la longue et parfois laborieuse œuvre de construction.
En date du 3 octobre 1920, Paul Émile Pasteur écrit: « Le grand travail en cours est l’achèvement de l’école en pierre commencée par M. Leenhardt. Son emplacement, sur un marais, a obligé la construction de contreforts pour soutenir les murs. La toiture, avec couverture en tuiles rouges, est en voie d’achèvement. La consolidation des murs a retardé ce travail que nous espérions voir achevé fin août mais qui le sera probablement pour Noël. Puis ce sera le tour des dortoirs des garçons, qui tombent en ruine« .
Délai tenu puisque, en janvier 1921, Pasteur écrit: « L’école en construction est couverte: quel soulagement! Les étudiants travaillent au crépissage intérieur. Ce sera une œuvre de longue haleine, parce qu’il faut faire la chaux soi-même« . Au reste, l’école n’absorbait pas toute l’énergie des bâtisseurs. Il y avait le reste: « Les constructions et travaux variés et nombreux ont entravé l’achèvement de l’école Paul Laffay« , écrit Pasteur en janvier 1922. « Il a fallu construire un dortoir pour contenir 70 garçons, réparer des cases, des barrières, sans parler de la construction d’un grand séchoir cimenté pour les récoltes de café que Dô-Néva est en droit d’espérer« .
En octobre 1923, les travaux avaient avancés, mais n’étaient toujours pas terminés. Dans une lettre de cette époque, cinq ans après le lancement du chantier, Paul Émile Pasteur confie ses sentiments: « Le grand bâtiment scolaire n’est pas encore achevé. Cela devient un refrain annuel, et peut être incompréhensible. Nous y faisons l’école pourtant depuis près de deux ans, dans l’une des trois salles achevées, et dans les vérandas. La 2ème salle est en travail; la 3ème sert d’atelier. La 2ème salle servira de salle de cours aux étudiants pendant le jour et de salle commune pour le soir. Elle est boisée intérieurement jusqu’à un mètre cinquante du sol, entourée de bancs formant stalle au dessus desquels 24 casiers à fermeture serviront à la conservation des livres et cahiers des élèves, natas et moniteurs.
« Ce gros travail était à la fois utile dans son achèvement et dans sa construction pour les charpentiers qui l’ont entrepris. Deux jeunes hommes calédoniens travaillant bénévolement et de tout cœur sont seuls à la tâche avec un ou deux garçons qui désirent apprendre le travail manuel et qui changent souvent. Les planches ont été sciées par deux natas et leurs dikonas les ont apporté à dos de plus de 25 km de Do Néva. Le travail est souvent interrompu par toutes sortes de réparations et entretien de charrue, bancs, tableau noir, maison, voiture, brouettes, manches d’outils, etc. Il est donc difficile à ces moniteurs de faire de la vitesse en même temps qu’il font de l’éducation manuelle ».
Un effort incessant
Pourtant, les travaux touchent à leur fin. Une lettre du pasteur Benignus le confirme en janvier 1924. « Si la grande école n’est pas tout à fait terminée« , écrit-il, « c’est que Pasteur a eu d’autres travaux urgents à accomplir et surtout qu’il a fallu pendant trois ans y travailler avec nos propres ressources, n’ayant plus aucune subvention du comité pour cet ouvrage. Or l’école sera plus grande que prévu, en raison des travaux de consolidation de la maçonnerie primitive, ce qui nous a obligé à faire une véranda sur deux côtés. Il faut avoir été sur place pour s’être rendu compte de l’effort incessant qu’ont fourni Pasteur et ses garçons pour achever ce bâtiment qui fait honneur à ceux qui l’ont commencé et à ceux qui vont l’achever prochainement ».
Cette œuvre, « ce fut faire école de la construction d’une école » confia plus tard Paul Émile Pasteur en évoquant cette « construction exclusivement indigène » et que la population protestante d’aujourd’hui identifie comme sa « première école« .
« Les multiples travaux qu’ont entraîné notre construction: maçonnerie, pierre de taille pour voûte, béton armé pour encorbellement, sciage de bois, traçage et taille de tenons et mortaises pour charpente, découpage de vitraux, menuisage de bancs et pupitres, lambrissage de la salle centrale, montage des portes et fenêtres, forge des serrures, loquets et poignées, ornementation au goût local, tout fut prétexte à former des ouvriers d’art« .
Mais en 1953, un cyclone a enlevé les tuiles. En 57, la toiture a été complètement refaite, le vitrail a disparu, et la façade recouverte de chaux. Le bâtiment est aujourd’hui méconnaissable. Pourtant, sous les outrages du temps, il reste sans le moindre doute une flamme à faire revivre.
Source: Tour de Côte (Nouvelle-Calédonie) – juin 1991
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