Le grand savant français est partout Ă Arbois, cette ville du Jura français oĂč il venait se ressourcer. Mais alors que la France est distancĂ©e dans la course aux vaccins et que les «antivax» minent le dĂ©bat public, son hĂ©ritage rĂ©sonne de moins en moins mĂȘme si le «passe vaccinal» va finalement entrer en vigueur
Le laboratoire de la maison de Louis Pasteur à Arbois. © Sébastien Bozon/AFP
Par Richard Werly, Le Temps
Publié vendredi 21 janvier 2022 à 20:56
Modifié vendredi 21 janvier 2022 à 21:42
Les neuf membres du Conseil Constitutionnel français auraient peut-ĂȘtre du tenir leurs dĂ©libĂ©rations ici: dans cette salle Ă manger de la maison familiale d’Arbois (Jura) oĂč Louis Pasteur (1822-1895) venait se ressourcer presque chaque week-end. Ce vendredi 21 janvier, les sages de la rue Montpensier, siĂšge de leur institution Ă Paris, ont avalisĂ© la majoritĂ© du projet de loi transformant, en France, l’actuel «passe sanitaire» en «passe vaccinal». Son entrĂ©e en vigueur, prĂ©vue la semaine prochaine, ne devrait donc pas ĂȘtre diffĂ©rĂ©e. Avec pour consĂ©quence d’Ă©riger une barriĂšre encore plus grande entre les titulaires d’un «schĂ©ma vaccinal complet» (deux doses plus un rappel) et tous ceux qui ne sont pas en mesure de le fournir. Plus de recours possible alternatif aux tests PCR ou antigĂ©niques pour entrer dans les lieux publics ou les trains grande ligne. Une vĂ©rification d’identitĂ© plus systĂ©matique, laissĂ©e Ă l’apprĂ©ciation des opĂ©rateurs de bars, cafĂ©s et restaurants… Le vaccin est bien la marque de la nouvelle «citoyennetĂ© sanitaire» mise en avant par Emmanuel Macron dans ses rĂ©cents discours.
Pasteur et Arbois. Pasteur et le Jura. A l’heure oĂč les dĂ©bats sont si enflammĂ©s sur l’immunisation contre le covid et ses mĂ©rites, la maison du savant qui dĂ©couvrit le vaccin contre la rage en 1885 est riche d’enseignements sur ce qu’une partie des Français sont en train d’oublier.
Un visiteur de la maison Pasteur à Arbois passe devant un portrait du scientifique. © Sébastien Bozon/AFP
La preuve: cette ancienne tannerie du centre-ville, dont le jardin est bordĂ© par la Cuisance, une petite riviĂšre, souffre comme la demeure natale du savant, Ă Dole (Jura) d’un manque cruel de ressources financiĂšres. Les boiseries s’Ă©tiolent et sont abimĂ©es. La toiture donne des signes de fatigue. L’intĂ©rieur, bien prĂ©servĂ©, n’est pas mis en valeur comme il le mĂ©riterait, Ă commencer par le laboratoire dans lequel Louis Pasteur passait, au premier Ă©tage, une bonne partie de ses journĂ©es au milieu de ses fioles, chauffĂ©es par un poĂȘle Ă bois.
La publicitĂ© ne fait pourtant pas dĂ©faut. A l’entrĂ©e d’Arbois, comme Ă Dole, deux villes jurassiennes distantes d’une trentaine de kilomĂštres, la mĂȘme fresque murale accueille les visiteurs: le visage barbu, serein et professoral de Louis Pasteur, au dessus de slogans en faveur de la recherche et de la science.
Louis Pasteur Ă©tait arrivĂ© enfant Ă Arbois, vers l’Ăąge de huit ans. Il y dĂ©couvre alors toutes les maladies Ă©pidĂ©miques que les Français de son Ă©poque redoutent. Un mĂ©decin de campagne anglais mort peu aprĂšs sa naissance, Edward Jenner (1749-1823), a dĂ©couvert la vaccination. Pasteur, lui, sera un grand dĂ©couvreur de vaccins comme ses disciples de l’Institut qui porte encore son nom, tel le bactĂ©riologiste Franco-Suisse Alexandre Yersin, vainqueur du bacille de la peste en 1896.
Alors, pourquoi Pasteur n’a pas davantage profitĂ©, depuis 2020, de cette caisse de rĂ©sonance qu’aurait du ĂȘtre la pandĂ©mie? FrĂ©dĂ©ric Tangy est un «pasteurien». Il a travaillĂ© sur le projet de vaccin anti-covid par l’Institut Pasteur, qui n’a pas dĂ©bouchĂ©, laissant les laboratoires Pfizer, Astra-Zeneca, Moderna ou Janssen prendre l’avance que l’on connaĂźt: «L’idĂ©e du savant rĂ©publicain n’est plus tellement de mise explique l’auteur de L’homme façonnĂ© par les virus (Odile Jacob). Aujourd’hui, la vitesse d’Ă©laboration d’un vaccin est essentielle et donc, la mise de fonds initiale. Elle se joue Ă coup de milliards d’euros sur la table, comme l’avait bien compris Donald Trump et comme l’Union europĂ©enne et la France ont tardĂ© Ă rĂ©aliser. Regardez sa maison, son laboratoire: Louis Pasteur tĂątonnait. Il incarnait paradoxalement Ă la fois la science et le doute».
Signe rĂ©vĂ©lateur: le 18 dĂ©cembre 2022 marquera le bicentenaire de la naissance du savant. A l’heure oĂč les anniversaires de grandes personnalitĂ©s littĂ©raires (MoliĂšre, La Fontaine, Proust, Flaubert…) scandent la vie culturelle Française, le gouvernement aurait pu prendre des initiatives pour valoriser son hĂ©ritage et son oeuvre. Or rien jusque-lĂ … au moment il est vrai oĂč la campagne prĂ©sidentielle en cours rend, jusqu’au mois d’avril prochain, le sujet des vaccins trĂšs inflammable.
La maison natale de Pasteur peine Ă rĂ©colter des fonds pour sa rĂ©habilitation. Plusieurs appels ont Ă©tĂ© lancĂ©s. Ils visent Ă obtenir 900 000 euros mais pour l’heure, la collecte n’est guĂšre couronnĂ©e de succĂšs: «Les prĂ©cĂ©dentes gĂ©nĂ©rations avaient compris ce que le culte de Pasteur apporte juge Sylvie Morel, la directrice de l’Ă©tablissement. Il permet de vulgariser l’importance des vaccins, les bouleversements positifs qu’ils ont apportĂ© pour la sociĂ©té». A preuve: le magazine L’Histoire de janvier consacre sa couverture au savant. La statue de Pasteur, sur la place centrale d’Arbois, est bien mise en Ă©vidence. La biographie de ce fils de tanneur, diplĂŽmĂ© du collĂšge royal de Franche-ComtĂ© puis admis Ă l’Ecole Normale est dĂ©taillĂ©e. L’aventure mondiale de son institut aussi: «Rien ne manque au portrait du saint laĂŻque, fils du peuple, forte tĂȘte, pĂ©nĂ©trĂ© de l’idĂ©e de la vĂ©ritĂ© et prĂȘt Ă tout pour la faire triompher», raconte l’Ă©ditorial de la revue.
Les retards de Sanofi
Arbois n’est Ă©videmment pas Paris. La dĂ©ception engendrĂ©e par le retard du vaccin Ă©laborĂ© par le français Sanofi – dont les essais vont se poursuivre jusqu’Ă la mi 2022 pour une disponibilitĂ© attendue en fin d’annĂ©e… au moment du bicentenaire Pasteur, mais bien tard face aux concurrents – a Ă©cornĂ© la rĂ©putation mĂ©dicale de la France. Mais dans la ville jurassienne, beaucoup s’Ă©tonnent du fait qu’aucun ministre de la santĂ© ne s’est rendu rĂ©cemment sur ces lieux emblĂ©matiques. En octobre, l’actuel ministre, Olivier VĂ©ran a atterri Ă Dole, mais il ne s’est pas rendu sur place: «L’exemple de Pasteur est pourtant parlant, juge l’une des guides-volontaires qui accueille les touristes, prĂ©sents dans le jardin oĂč des panneaux de bande dessinĂ©e racontent l’aventure du grand homme. Il n’Ă©tait pas mĂ©decin, ce qui lui valut beaucoup d’ennemis. Il incarnait l’efficacitĂ© de la science au service du plus grand nombre». Sauf que le nom de Pasteur est aussi associĂ© aux campagnes de vaccination obligatoires imposĂ©es par la RĂ©publique aprĂšs sa mort. Contre la variole en 1902. Contre la diphtĂ©rie en 1938. Contre le tĂ©tanos en 1940. Contre la polio en 1964…
«Pasteur triomphe en ayant partiellement tort».
L’anthropologue Bruno Latour, souvent citĂ© depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie s’est intĂ©ressĂ© de prĂšs au cas Pasteur. Il en parle longuement dans son essai Les microbes, guerre et paix, publiĂ© en 1987 (MĂ©taillĂ©). Pasteur ne se voyait pas comme un hĂ©ros. Sa maison d’Arbois, somme toute modeste, est d’ailleurs amĂ©nagĂ©e non pour sa gloire, mais pour son travail. De son vivant, aucune rĂ©compense, aucune trace des honneurs reçus – il fut nommĂ© sĂ©nateur d’Empire en 1870, peu avant la dĂ©faite de NapolĂ©on III Ă Sedan face aux prussiens – n’y Ă©taient visibles: «Pasteur Ă©tait le prĂȘte-nom, l’amplificateur d’un mouvement social immense qui souhaitait passionnĂ©ment qu’il ait raison», juge Bruno Latour pour lequel la force du savant Ă©tait qu’il sut toujours garder «de l’humour, de l’Ă©motion, de l’insolence et le goĂ»t du pas de coté».
Dans L’Histoire, l’universitaire Guillaume Lachenal complĂšte: «DĂšs les annĂ©es 1860, Pasteur a parfaitement compris que non seulement l’expĂ©rience sert Ă produire une preuve scientifique, mais qu’elle est aussi un outil de dĂ©monstration au sens le plus large du terme, un spectacle qui permet de mobiliser les forces sociales». Et d’assĂ©ner: «Pasteur triomphe en ayant partiellement tort».
La maison familiale du savant est recouverte d’une paroi de lierre. Dans le laboratoire qu’il fit amĂ©nager dans ses moindres recoins, des tuyaux longent les murs pour plonger dans des citernes. Le visiteur semble se mouvoir dans un grand alambic. Mais le buste de l’intĂ©ressĂ© vous scrute, impĂ©rial, au milieu de la piĂšce.
Louis Pasteur, dont l’histoire du vaccin contre la rage inoculĂ© en juillet 1885 au petit Alsacien Joseph Meister mordu quatorze fois par un chien fut longtemps un classique des livres scolaires français. Quelques annĂ©es plus tĂŽt, presqu’en direct pour l’Ă©poque, le best-seller Le tour de France par deux enfants, maintes fois rĂ©Ă©ditĂ© depuis (Belin) le cite dans ses pages consacrĂ©es au Jura et Ă l’est de la France.
«Pasteur avait le goĂ»t pour la mise en scĂšne de la science. Il prend le risque de se tromper. Il en joue car il a compris la tension dramatique qui entoure le rĂ©sultat de l’expĂ©rience», juge Guillaume Lachenal. Des propos qui rĂ©sonnent aujourd’hui, alors qu’au moins trois millions de Français adultes ne sont toujours toujours pas vaccinĂ©s: «Pasteur n’assĂ©nait pas des vĂ©ritĂ©s scientifiques. Il reconnaissait qu’on peut se tromper. C’est le contraire des laboratoires d’aujourd’hui, soutenus par les gouvernements, qui nous imposent leur doxa sans prendre le temps, sans le recul indispensable», jugeait samedi 14 janvier un manifestant antivax du mouvement les «Patriotes» de Florian Philippot, sur la Place de la RĂ©publique, Ă Paris.
Une certaine idée de la science
RĂ©habiliter Pasteur et une certaine idĂ©e de la science. Sur la place centrale d’Arbois, l’une des Ă©lues du Conseil municipal montre l’image de l’autre grande statue du savant, Ă Paris, dans le VIIĂšme arrondissement. ReprĂ©sentĂ© tel un dignitaire de l’antiquitĂ©, Louis Pasteur domine la mort qui tient sa faux en main. Une victoire, vraiment? En tout cas, le Jurassien avait anticipĂ© nos rĂ©flexes d’aujourd’hui et nos gestes-barriĂšres. Il avait ainsi la phobie de la poignĂ©e de main. «Il ne tendait jamais la main. Lorsque par hasard, il avait reçu la visite d’un Ă©tranger au laboratoire, particuliĂšrement quand c’Ă©tait un mĂ©decin, il dĂ©signait de la tĂȘte le lavabo Ă son interlocuteur». Il faut dire que Pasteur, devenu hĂ©miplĂ©gique Ă 46 ans, avait la main gauche paralysĂ©e.
Son corps repose depuis 1896, en compagnie de celui de son Ă©pouse, dans la crypte de l’Institut Pasteur. A Arbois, une sĂ©rie de photos le montrent dans ses derniers instants sur son lit, dans sa maison de Villeneuve l’Etang, prĂ©s de Marnes-la-Coquette. «Pasteur avait bien pressenti le lien d’interdĂ©pendance qui unit l’humain Ă son environnement. Pour lui, la vie sans microbes Ă©tait impossible». Deux cent ans plus tard, l’humanitĂ© entiĂšre, confinĂ©e ou non, l’a appris Ă ses dĂ©pens.
A lire pour aller plus loin:
Pasteur, Une vie au service de la science et de l’homme. Ivan Kiriow (Larousse)