Jean-Joseph Pasteur, père de Louis Pasteur, vint au monde à Besançon le 16 mars 1791. Hélas, le malheur va s’abattre sur eux. Gabrielle Jourdan, sa mère, meurt le 18 août 1792. Son père se remarie à Voray (en Haute-Saône) le 27 novembre 1792 avec Marie-Thérèse Saint. De cette union naît une fille, Jeanne-Antoine.
Mais le 5 septembre 1796 le père disparaît à son tour. Le petit Jean-Joseph est orphelin à cinq ans et demi. Il y a beaucoup de désarroi dans la famille en pleine époque de révolution. On sort à peine de la terreur, le commerce est ralenti, la France en guerre. Thérèse Saint se réfugie auprès de ses parents en Haute Saône avec sa fille Jeanne-Antoine. Jean-Joseph est recueilli à Salins par ses grands-parents paternels. Les deux plus jeunes sœurs de son père sont encore au foyer paternel, Jeanne-Antoine et Claudine-Marguerite. Ce sont ces deux jeunes tantes qui vont s’occuper de l’enfant. Claudine-Marguerite se marie rapidement le 1er février 1798 avec Claude-Philibert Bourgeois tandis que Jeanne-Antoine ne se mariera que le 28 décembre 1803 avec François-Joseph Chamecin, associé dans une affaire de bois avec Claude-Philibert Bourgeois. C’est Jeanne-Antoine qui sera considérée par l’enfant comme étant sa mère. Elle s’est occupée de lui longtemps. Il lui marquera plus tard son affection en redonnant le prénom de Jeanne-Antoine à la première de ses filles.
Jean-Joseph grandit après le décès de son grand-père, Claude Etienne Pasteur, auprès de sa grand-mère et il reçoit de ses tantes une bonne éducation. Mais l’instruction est des plus simple : il sait lire et écrire ; c’est au régiment que plus tard il s’instruira.
Dès l’âge de 12 ans Jean-Joseph commence à travailler dans la tannerie de Salins dont l’exploitation est reprise par le jeune frère de son père, Jean-Charles Pasteur.
Cependant l’épopée impériale se déroule. Napoléon a besoin de soldats : il recrute par conscription. Jean-Joseph, âgé de 20 ans en 1811 doit tirer au sort, son numéro l’oblige à partir. Il est incorporé au 3ème régiment de Ligne. Démobilisé le 31 juillet 1814 il arrive enfin à Salins le 25 octobre 1814 et retrouve sa famille. Sa grand-mère est décédée en son absence. Jean-Joseph trouve auprès de son oncle Jean-Charles bon accueil et reprend son métier de tanneur. Il songe à rester avec lui. C’est à cette époque qu’il fait connaissance de la famille Roqui habitant juste en face, de l’autre côté de la Furieuse. Le père est jardinier. Il y a une fille bien jolie chez ces Roqui, Etiennette. Elle fait la conquête du grognard. Ils n’ont pas de peine à se rencontrer. Au fond du jardin de la famille Chamecin il y a une échenette où l’amoureux se risque à échanger un regard et l’idylle s’ébauche sous la tonnelle. Les Chamecin viennent en jouant troubler leurs rencontres. Le mariage, bénit à St Jean-Baptiste, a son repas de noce aux Carmes chez sa tante Chamecin.
Mais peu avant le mariage un incident grave était survenu en pleine ville de Salins entre Jean-Joseph et un gendarme du roi. Le maire avait eu l’idée pour assurer la police municipale de proscrire à ceux qui avaient servi l’empereur, de déposer leurs sabres à sa mairie. Jean-Joseph se soumet. Mais voyant son propre sabre porté par un sergent de ville, sans la moindre hésitation, il lui arracha : grande effervescence. Arrêté, conduit devant le commandant d’Armes autrichien (car le pays est encore occupé militairement) il est relâché grâce à la compréhension de l’officier. Pasteur, escorté de bruyantes sympathies rentra chez lui et garda son sabre.
Mais Jean-Joseph en a retenu qu’il ne doit pas rester à Salins. C’est alors qu’il part à Dole. Il choisit Dole car là réside son autre tante Marie-Marguerite. Celle-ci est épouse de Christophe Clerc et ce dernier a un beau-frère tanneur qui cherche à céder son entreprise. Jean-Joseph l’achète et s’installe comme marchand-tanneur. C’est à Dole que vont naître Jean-Denis, Jeanne-Antoine, Louis et Joséphine. Seule la dernière de la famille est née à Marnoz où entre-temps Jean-Joseph s’est installé avant de partir définitivement en 1827 pour Arbois.
Si Jean-Joseph donne le prénom de Jeanne-Antoine-Virginie à sa première fille, il choisit comme parrain pour son fils Louis, son cousin germain Louis Bourgeois (fils de sa tante Claudine-Marguerite) et comme marraine Désirée Clerc (dont le nom est mal orthographié dans l’acte de baptême), fille de sa tante Marie-Marguerite. Le jour du baptême le bonnet de Louis fut quelque peu « roussi » par le cierge du petit clergeon distrait ! Ce bonnet de baptême fut pieusement conservé par cette branche de la famille jusqu’à ce qu’un musée le réclame : Dole ou Arbois ?
Les années passent mais les liens de famille ne se relâchent pas. Narcisse Chamecin (un des fils de François-Joseph Chamecin et de Jeanne-Antoine Pasteur) est le conseiller de Louis pour les affaires de famille. Ce dernier écrit à Narcisse (qui demeure à Salins) en lui précisant « qu’il fallait dire à son père (pour le mariage de l’une de ses sœurs) qu’il attende qu’on lui fasse les sommations respectueuses ! » Sans doute à propos du mariage de Jeanne-Antoine qui a épousé son cousin germain Gustave Vichet (ou Vichot – là aussi l’orthographe varie). According to this article
Louis Pasteur entretient également une correspondance avec Frédéric Chamecin (autre fils de François-Joseph Chamecin et de Jeanne-Antoine Pasteur) à propos du traitement du bois car la famille Chamecin avait alors une très importante affaire de bois.
Lorsque la fille de Narcisse Chamecin se marie, elle vint habiter Paris avec son mari, Jules Rémond originaire de Clairvaux et jeune avocat. Ils habitent Boulevard St. Michel. Louis Pasteur le dimanche matin vient souvent prendre le jeune ménage pour aller à la messe à St Médard puis les emmène déjeuner à son domicile. Quelques années plus tard, la famille Rémond retourne en Franche-Comté ; Jules Rémond ayant acheté une étude de notaire à Besançon, aux environs de 1880. Mais les relations entre les familles continuent. C’est en été que tous se retrouvent : à Arbois ou à Salins dans la maison de famille Chamecin (la villa des Carmes) qui appartint ensuite à la famille Rémond. C’est au cours d’un repas à Salins que le grand savant fait tout un cours à ses jeunes cousins sur les microbes et la nécessité d’une bonne hygiène. Pour concrétiser son discours il se fait apporter un verre d’eau et lave sa grappe de raisin très consciencieusement. Mais à la fin du repas, distrait sans doute, il boit tout aussi consciencieusement son verre d’eau sous l’œil médusé des uns et le fou rire des autres ! A Arbois il prend souvent sur ses genoux ma grand-mère (Marguerite Rémond fille aînée de Jules Rémond et de Marguerite Chamecin). Celle-ci est en « admiration » devant les toutes petites bêtes qui s’agitent sous ses yeux à travers ce qu’elle appelle « une drôle de lunette ». Arbois et Salins : ces deux jolies villes sont assez proches l’une de l’autre. On prend la voiture (avec un cheval) mais plus tard on monte dans « l’automobile ». Hélas celle-ci est moins fiable que l’ancien moyen de locomotion. Plusieurs fois, penauds, les jeunes Rémond partis pour Arbois n’arrivèrent pas à bon port ! La visite est remise… Se connaissant si intimement c’est tout naturellement que l’épouse du savant demande à Marguerite Rémond (née Chamecin et donc mon arrière grand-mère) au décès de son mari, d’établir la généalogie Pasteur. Mon arrière grand-mère passionnée de généalogie « s’attelle » à l’ouvrage, et peut établir en ligne directe la première généalogie Pasteur. Elle entreprend des recherches aux Archives Départementales de Besançon. Vers l’année 1900 elle découvre (en compagnie de l’archiviste) dans le grenier du bâtiment des archives une série de liasses transportées là sous la révolution et jusque-là jamais classées. Ce sont les dossiers du prieuré de Mouthe. Avec l’aide de l’archiviste, elle les trie, les déchiffre et faisant part de sa découverte à René Vallery-Radot, elle lui explique qu’elle a trouvé « un nid de Pasteur » à Reculfoz, un village sur les anciennes possessions de ce prieuré de Mouthe. On les étudie, on classe les documents, on trouve de multiples traces de cette famille Pasteur dont les membres sont nombreux et on parvient à établir leur filiation. Ce sont bien les ancêtres de pasteur.
Dernière anecdote : ma mère a 4 ans lorsqu’elle accompagne sa grand-mère chez Mme Pasteur. Tout le long du chemin sa grand-mère lui fait des recommandations – non de sagesse, ma mère est très sage – mais de bien se souvenir de cette visite : « tu vas rencontrer l’épouse d’un grand savant qui était notre cousin. Il ne faudra jamais oublier cette rencontre ». Ma mère s’en est toujours souvenue : les marches que l’on descend pour entrer dans la maison et cette vieille dame si gentille qui portait un bonnet avec un liseré blanc (comme les veuves de son époque). Retournant avec nous à Arbois pour une visite de ce musée elle reconnut parfaitement les lieux malgré quelques changements. C’est à cette visite que Mme Pasteur fait allusion dans une lettre à ma grand-mère en 1907.
Plus près de nous, c’est le fils aîné de Jules Rémond et de Marguerite Chamecin qui écrit de Paris à sa mère en 1921 quelques semaines avant son sacre : « j’irai chez Mme Pasteur demain (la belle-fille du savant) » – et encore : « j’ai vu les Vallery-Radot ; ils m’offrent ma mitre ! Bon dîner en plus ! Ils viendront à mon sacre ». Il faut ajouter que les familles Pasteur et Vallery-Radot ont toujours ouvert leurs portes à leurs cousins Rémond (mes grands-oncles) étudiant à Paris.
Malheureusement ces relations si affectueuses devaient s’arrêter à la mort de mon arrière grand-mère en 1933 et celle de Marie-Louise Pasteur en 1934. Le fils de Marie-Louise Pasteur et de René Vallery-Radot, très occupé à Paris et mes grands-oncles en province se contentèrent de lettres de vœux jusqu’à la guerre et puis plus rien !
Il reste quelques souvenirs : des lettres, la bague de fiançailles offerte par Pasteur à sa première fiancée – fiançailles rompues par les parents de la jeune fille, qui jugeaient ce jeune chercheur « sans avenir » ! Pasteur fit don de cette bague à sa cousine Joséphine Cornu. Celle-ci était la petite fille de Marie-Marguerite Pasteur (épouse Clerc). Cette bague fut donnée à ma grand-mère puis à ma mère – mais le nom de la jeune fille, connu sans doute de la famille Cornu, ne nous est pas parvenu. Je garde précieusement aussi quelques objets ayant appartenu à Camille Vallery-Radot Pasteur : une boîte avec sa photographie sur le couvercle, son rond de serviette de pensionnaire et son imitation de la Vierge.
En souvenir de Louis Pasteur, son épouse fit exécuter une dizaine de bustes de son mari en bronze numérotés. Ma grand-mère, ayant épousé un médecin, en reçut un. Il est dans le bureau d’un de mes cousins, médecin.
Voilà ce qu’il reste d’une affection partagée pendant de nombreuses années entre la famille Pasteur et ses cousins.
Source : Odile Monnory, La Celle-Saint-Cloud
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