Parmi les nombreux actes notariĂ©s conservĂ©s aux Archives d’État de Genève, les testaments offrent un intĂ©rĂŞt particulier pour l’histoire des familles de la commune.
Pour la recherche généalogique, un testament permet de connaître le nom du conjoint et des enfants encore vivants, quelquefois celui des frères et sueurs, des neveux et des nièces du testateur, si ceux-ci font partie des légataires.
Le testament donne rarement des indications prĂ©cises sur la fortune du testateur; il est donc d’un intĂ©rĂŞt limitĂ© pour l’histoire Ă©conomique. Les legs particuliers sont Ă©noncĂ©s en premier, puis l’acte indique le nom des hĂ©ritiers universels, c’est-Ă -dire des personnes qui hĂ©ritent de la totalitĂ© des biens (moins les legs particuliers), sans que ceux-ci soient Ă©numĂ©rĂ©s.
En Savoie, ce sont toujours les fils, quand il y en a, qui sont hĂ©ritiers universels. Ils pourront, au dĂ©cès de leur père, s’arranger entre eux : rester en indivision ou partager les biens.
Voici comme exemple un testament passĂ© en 1617 par un habitant de Saint-Maurice, Robert Pasteur [1]. Il s’agit d’un testament nuncupatif, c’est-Ă -dire que le testateur dĂ©clare, devant un notaire et au moins sept tĂ©moins, quelles sont ses dernières volontĂ©s. Ce que fait Robert Pasteur devant le notaire Antoine Pasteur, son propre frère, Ă©tabli Ă©galement Ă Saint-Maurice.
Il faut noter ici que les Pasteur habitent Saint-Maurice de longue date, puisqu’ils sont citĂ©s en 1425. Ils figurent au rĂ´le de l’impĂ´t levĂ© par les Bernois en 1550 parmi les plus riches propriĂ©taires de la paroisse. Maurice Pasteur, père de Robert, y est imposĂ© sur des biens valant 1100 florins, alors que les autres “fortunes” s’Ă©chelonnent de 5 Ă 798 florins pour les autres habitants de Collonge, Saint-Maurice et VĂ©senaz [2].
Donc, le 18 septembre 1617, Robert Pasteur, “grâce Ă Dieu Ă©tant sain d’esprit, mĂ©moire et entendement, bien qu’il soit dĂ©tenu de maladie corporelle et gisant au lit”, fait venir le notaire pour mettre ses affaires en ordre. Car le but du testament est avant tout d’Ă©viter des querelles et d’interminables procès entre les hĂ©ritiers.
Le prĂ©ambule du testament est Ă peu près le mĂŞme pour chaque acte de ce genre : le testateur, “considĂ©rant qu’il n’y a rien de plus certain que la mort, et que l’heure d’icelle est du tout [3] incertaine”, appelle le notaire pour lui dicter ses dernières volontĂ©s. Bref, il vaut mieux prĂ©venir qu’ĂŞtre prĂ©venu !
Puis, après avoir “recommandĂ© Ă Dieu son âme et son corps”, Robert Pasteur Ă©numère les legs particuliers qu’il dĂ©sire faire :
Ă€ sa femme Denise Dudesert, au cas oĂą elle ne voudrait pas habiter avec ses enfants, une pension annuelle consistant en quatre coupes [4] de froment et quatre setiers [5] de vin rouge, avec sa demeure et son chauffage en sa maison, Ă son choix; puis, tous les trois ans, un blanchet [6] et des bas de chausse et “annuellement dix florins pour sa pitance”;
Ă€ ses trois filles, Nicolarde, Pierrette et Antoinette, la somme de 300 florins chacune pour leur dot et, pour leur trousseau, douze linceuls [7] de toile et deux robes de couleur, “payable le tout quand elles parviendront au saint mariage”.
Le testateur prĂ©cise que ses filles devront ĂŞtre nourries et entretenues par ses hĂ©ritiers (ses fils) dans sa maison. Ces legs particuliers excluent de l’hoirie l’Ă©pouse et les filles et permettent de conserver l’intĂ©gralitĂ© des biens fonciers et immobiliers au profit des hĂ©ritiers universels. Ces derniers, Robert Pasteur les “nomme de sa propre bouche” : Maurice et Pierre, ses fils. S’ils venaient Ă dĂ©cĂ©der sans enfants, il leur substitue ses trois filles.
Ce testament est passĂ© “Ă Saint-Maurice en la maison dudit testateur au poile [8] d’icelle”.
La liste des témoins est intéressante, car elle nous livre les noms de quelques habitants du Saint-Maurice de cette époque :
Jean DecĂ©rier, originaire de Cranves, BarthĂ©lĂ©my Figuet, de Saint-Maurice, Pierre Dederod, de Corsier, François Rebout, d’Anthy, et Antoine Foinnolet, de Cervonnex.
Étaient aussi présents : Robert Pattay, maréchal-ferrant, de Choulex, probablement de passage à Saint-Maurice pour exercer son métier, et Mermet Pasteur et son fils Michel, habitants de Bonvard et cousins de Robert, à qui ils rendaient peut-être visite ce jour-là .
Robert Pasteur semble s’ĂŞtre remis de sa maladie puisqu’il ne mourra que cinq plus tard, en 1622, et sera enterrĂ© au cimetière de Saint-Maurice. Quant Ă ses deux fils, il vĂ©curent en indivision et ne partagèrent leurs biens immobiliers qu’en 1639. Ce partage fut confirmĂ© par un acte passĂ© devant notaire douze ans plus tard [9].
[1] AEG, Notaires, Antoine Pasteur, vol. 1, f° 1 à 4.
[2] ACV, BS5, Le livre des tailles riére le mandement de Gaillard.
[3] du tout : tout Ă fait.
[4] coupe : mesure de contenance des grains valant environ 80 litres.
[5] setier : environ 55 litres.
[6] blanchet : jupe de laine tricotée.
[7] linceul : drap.
[8] poile ou poĂŞle : seconde pièce d’une habitation rurale qu’on peut chauffer en hiver et oĂą l’on mange, on couche ou on travaille
[9] AEG, Notaires, L. Pasteur I, vol. 10, f° 30.
Source : George Curtet, Collonge-Bellerive – Notes d’histoire
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