Nouvelle-Calédonie / Divers

Le fait du jour Do Neva : Un
centenaire dans la joie
- Environ quatre mille à six mille personnes
ont participé, ce week-end au centenaire de Do Neva dans une
ambiance très chaleureuse. Des personnes liées de près ou de loin,
parfois de façon très affective, à l’histoire de cet établissement
scolaire créé en 1903 par le pasteur Leenhardt à Houaïlou (Waa wi
luu). - L’un des temps forts de la manifestation a été
l’inauguration de la vieille école récemment rénovée. Première école
en milieu kanak, Do Neva a formé de nombreux responsables
d’aujourd’hui.
Pourquoi tant de gens sont-ils venus, du Nord, du Sud et surtout
des Iles pour fêter, ce week-end, le centenaire de Do Neva ?
Pourquoi tant de témoignages émus vendredi de la part d’anciens
élèves, d’anciens enseignants ? Pourquoi tant de retrouvailles,
d’embrassades, de chants, de danses, de discussions autour de repas
partagés ? « Do Neva, c’est un symbole. Le lieu où l’Eglise
protestante a formé la plupart des cadres kanak et européens. Do
Neva, c’était la première école en milieu kanak. Pendant vingt ou
trente ans, tout le monde est passé par là. Plus que le centenaire
d’une école, nous fêtons aujourd’hui le centenaire de l’œuvre
scolaire de l’Eglise protestante sur la Grande Terre » observait
l’un des participants. S’il est difficile d’estimer le nombre précis
de visiteurs, répartis dans plusieurs sites, l’affluence a été très
importante et l’ambiance conviviale. Ancien élève, ancien
enseignant, parfois successivement l’un et l’autre : ce week-end, la
plupart des personnes présentes avait un lien fort avec Do Neva. Aux
côtés des Kanak, majoritaires dans l’assemblée, plusieurs
Calédoniens d’origine européenne étaient présents pour témoigner de
leur attachement à cet établissement. Un établissement que leurs
grands-pères et leurs pères ont soutenu, comme c’est le cas d’André
Mazurier, et où ils ont parfois été eux-mêmes élèves ou professeurs.
Plusieurs invités avaient également fait le déplacement de
métropole, comme le petit-fils de Maurice Leenhardt, André, sa femme
et une arrière-petite-fille, le président de l’Eglise autonome de
France, M. Trautmann, ou d’anciens enseignants.
Le devenir de
l’enseignement privé
Dans une ambiance très conviviale, des
petits groupes se sont formés ici et là pour échanger des souvenirs,
regarder des photos. Chants et danses ont ponctué les journées. Les
repas ont également constitué des moments importants de
convivialité. Trois sites avaient été préparés, les visiteurs se
déplaçant de l’un à l’autre. Dans la plaine où étaient installés des
stands de restauration avec un podium, Pierre Gope a présenté sa
dernière pièce de théâtre « Les murs de l’oubli » avec la compagnie
Cebue. We ce ca et Dick et Hnatr ont animé la deuxième soirée avec
des groupes de la commune. Du côté de Siloë, vers l’ancienne école
des filles, se tenaient des ateliers vivants de sculpture et de
tressage. Le coeur de la manifestation avait été installé à
Guilgal, à proximité de la vieille école, avec un espace conférence.
Aux témoignages émouvants d’anciens élèves et de professeurs du
vendredi ont succédé des débats samedi et dimanche. Après
l’inauguration de la vieille école, le haut-commissaire Daniel
Constantin, et le vice-recteur, Michel Barat, sont intervenus samedi
après-midi dans le cadre d’échanges sur l’enseignement privé en
Nouvelle-Calédonie. Un débat auquel ont participé les responsables
des différents enseignements privés de Nouvelle-Calédonie. La
formation des enseignants, la place de langues maternelles ont été
au cœur des discussions. La question des moyens mis à disposition de
l’enseignement privé a également été abordée. « Des moyens qui
permettent que les principes puissent s’incarner dans le concret » a
indiqué l’un des intervenants. Un défilé de robes mission et une
conférence sur le sujet par Waima Wapotro ont clôturé la journée du
samedi. Ce centenaire de Do Neva était également placé sous le
signe de la réconciliation. Un sujet délicat au sein de l’Eglise
protestante et qui intéresse particulièrement la communauté scolaire
de Houaïlou, encore très marquée par la scission. Un culte «
innovant » a d’ailleurs été célébré dimanche.
La vieille
école : un symbole restauré
Classée monument historique en
1991, la vieille école a été rénovée cette année par la Province
nord, en accord avec l’ASEE. Elle a été inaugurée samedi en présence
de représentants de différentes institutions. La vieille école,
dont la construction avait été lancée par Maurice Leenhardt au
lendemain de la Première Guerre mondiale en 1918, incarne l’œuvre
des missionnaires en faveur de l’instruction des populations kanak
de la Grande Terre et des Iles. Elle a été rénovée cette année par
la Province nord, grâce à des fonds provenant du contrat de
développement avec l’Etat. Le haut-commissaire, Daniel Constantin,
et le vice-recteur, Michel Barat, qui avaient fait samedi le
déplacement pour l’inaugurer, ont rappelé le rôle de Maurice
Leenhardt dans la diffusion de la culture kanak, notamment à Paris
aux « Langues O ». Avant de dénouer la fibre végétale barrant
l’entrée de l’école, Daniel Poigoune, vice-président de la Province
nord, a rappelé le contexte dans lequel la mission de Do Neva avait
démarré, cinquante ans après la prise de possession, à une époque où
le régime de l’indigénat était encore en vigueur, et où l’on sortait
d’une période de révoltes et de répression. « Un devoir de mémoire
s’impose à nous tous » a-t-il indiqué. A l’intérieur, les
visiteurs ont pu découvrir une exposition sur la vie de Maurice
Leehnardt, prêtée par le centre culturel Tjibaou. L’architecte en
charge de la restauration, Jean-François Collomb, a expliqué les
choix opérés pour rénover ce bâtiment « à l’identique », en fonction
des élèments disponibles. Les travaux ont coûté 47,5 millions,
financés à 95 % par la Province nord et à 5 % par l’ASEE.
|

|

 Plusieurs délégations avaient préparé
des danses pour l’occasion. Avant l’inauguration de la vieille
école, un groupe de la Grande Terre a dansé la « danse de la case »
devant un public nombreux.
Témoignages
André Leenhardt (petit-fils de Maurice Leenhardt) : «
Une occasion forte de se retrouver »
Le
petit-fils de Maurice Leenhardt a dévoilé la plaque
commémorative placée sur la vieille école. Un moment
d’émotion. « Cent ans après, Do Neva donne l’image
d’un lieu qui reste un endroit de rassemblement et
d’espoir. Les trois enseignements privés sont réunis
ici, c’est un bon présage pour l’avenir. » Au-delà de
l’émotion personnelle suscitée par ce rassemblement et
l’inauguration de la vieille école rénovée, André
Leenhardt, lui-même pasteur, analyse la dynamique qu’il
a perçue au cours de ces trois journées. « C’est une
occasion forte de se retrouver ensemble » indique-t-il.
« Mon père était très préoccupé par la scission au sein
de l’Eglise protestante. Il a même essayé d’intervenir.
Avec le processus de réconciliation qui est en route
aujourd’hui, un pas important a été fait. » André
est le fils de Raymond, le fils aîné de Maurice
Leenhardt. Né en 1903 à Do Neva, celui-ci a été
profondément marqué par les quinze premières années de
sa vie passées en Nouvelle-Calédonie. « J’ai réalisé en
venant ici que mon père avait été conçu en même temps
que Do Neva » observe avec amusement André Leenhardt.
S’il n’est venu pour la première fois en
Nouvelle-Calédonie qu’ à l’occasion du centenaire de la
naissance de son grand-père en 1978, André Leehnardt a
été « imprégné » de la Nouvelle-Calédonie depuis tout
petit. « On avait beaucoup d’objets kanak à la maison,
et mes parents, qui habitaient Paris, recevaient tous
ceux qui venaient en métropole. Il y a un lien, une
circulation, qui est restée permanente » observe-t-il.
Ce lien se poursuit avec son fils qui a passé deux
ans en Nouvelle-Calédonie et a participé l’an dernier
aux festivités autour de l’exposition Leehnardt au
centre culturel Tjibaou.
Un missionnaire «
hors normes »
« L’histoire de la mission de Do
Neva est à l’envers de toutes les histoires de
missionnaires » poursuit André Leehnardt. « Les
missionnaires indigènes, comme on disait à l’époque, ont
lancé un appel lors de la conférence de Gondé pour que
la société des missions de Paris leur envoie un
missionnaire blanc pour les aider, les protéger de la
colonisation. A cette époque-là, la Nouvelle-Calédonie
avait très mauvaise réputation. Les révoltes n’étaient
pas loin. Dès que mon grand-père a terminé sa formation,
il a demandé à partir en Nouvelle-Calédonie. Il avait
vingt-quatre ans. » « Mon arrière-grand-père était un
scientifique, un géologue. Il a dit à mon grand-père “
Commence par écouter. Les faits sont des paroles de Dieu
“» ajoute encore André Leenhardt. C’est ce que mon
grand-père a fait. Il a fait parler les vieux, il a
analysé leur façon de vivre. C’est comme ça qu’il est
devenu ethnologue. Il a fait un travail très important
sur les langues. Pour résumer, je dirais qu’il était
plus un accoucheur qu’un convertisseur, ce qui n’était
pas toujours apprécié par sa hiérarchie. J’avais vingt
et un ans quand il est mort. J’ai été très étonné et
très touché de voir mon prénom sur la plaque
commémorative fixée sur la vieille école. »
Alain
Héo, ancien chef d’établissement : « L’idée que la
vieille école disparaisse m’attristait »
Chef
d’établissement de Do Neva de 1982 à 1991, Alain Héo a
fait partie de l’équipe qui a œuvré pour le classement
de la vieille école. « Ma mère avait été élève ici. Moi
même, j’étais passé par là. La vieille école, ce n’était
pas la salle de classe idéale mais la pensée qu’elle
disparaisse m’attristait. Il y avait un peu de nostalgie
dans ce projet. » Passionné d’histoire, comme Ismet
Kurtovitch qui était alors directeur du collège, Alain
Héo se lance à la recherche des archives de
l’établissement. « C’était vraiment le travail de toute
une équipe. Nous avons collecté tous les documents
écrits et les photos pour faire une petite salle
d’archives à Do Neva. Nous avons envoyé des courriers
aux héritiers du pasteur Charlemagne, Jean-Pierre
Charlemagne et à Roselaine Leenhardt. M. Lacheret, le
père d’Evelyne Lèques, qui a été missionnaire, nous a
également envoyé des photos et des écrits, tout comme
Albert Frey. Une partie des agendas de Paul-Emile
Pasteur, le missionnaire qui a suivi la construction de
l’école, était encore là. Nous avons récupéré des
correspondances entre Laffay, le concepteur du bâtiment,
et Paul-Emile Pasteur, au sujet du vitrail notamment.
»
Une convention signée en 1991
Une
armoire entière de documents sont rassemblés, qui ont
été ensuite répartis entre les Archives et l’ADCK. Une
demande de classement est adressée à la Province nord.
Le bâtiment est classé comme monument historique. «
Il y a eu plusieurs projets de restauration avec
différents architectes, mais nous n’étions pas toujours
d’accord. Le premier voulait construire un mur de
briques autour de l’existant. » Aujourd’hui, le bâtiment
est couvert par une double toiture, l’une en tôles,
l’autre en tuiles, car les seules tuiles seraient trop
fragiles. « Nous aurions voulu conserver les pierres
apparentes, mais les murs ont beaucoup pris l’eau ces
dernières années. Nous avons juste conservé une pierre
apparente, avec un pétroglyphe, qui avait été placé là
par un pasteur de Poum, Tobi Baou. C’était une force de
la nature, on le surnommait Double nerfs. C’est lui qui
a placé cette pierre, tout seul. » Alain Héo est très
satisfait des travaux réalisés. « Aujourd’hui, je fais
partie des plus heureux » lance-t-il avec un sourire.
| |
|