Lundi 27 Octobre 2003


ACTUALITE


Nouvelle-Calédonie / Divers


Le fait du jour
Do Neva : Un centenaire dans la joie

- Environ quatre mille à six mille personnes ont participé, ce week-end au centenaire de Do Neva dans une ambiance très chaleureuse. Des personnes liées de près ou de loin, parfois de façon très affective, à l’histoire de cet établissement scolaire créé en 1903 par le pasteur Leenhardt à Houaïlou (Waa wi luu). - L’un des temps forts de la manifestation a été l’inauguration de la vieille école récemment rénovée. Première école en milieu kanak, Do Neva a formé de nombreux responsables d’aujourd’hui.

Pourquoi tant de gens sont-ils venus, du Nord, du Sud et surtout des Iles pour fêter, ce week-end, le centenaire de Do Neva ? Pourquoi tant de témoignages émus vendredi de la part d’anciens élèves, d’anciens enseignants ? Pourquoi tant de retrouvailles, d’embrassades, de chants, de danses, de discussions autour de repas partagés ?
« Do Neva, c’est un symbole. Le lieu où l’Eglise protestante a formé la plupart des cadres kanak et européens. Do Neva, c’était la première école en milieu kanak. Pendant vingt ou trente ans, tout le monde est passé par là. Plus que le centenaire d’une école, nous fêtons aujourd’hui le centenaire de l’œuvre scolaire de l’Eglise protestante sur la Grande Terre » observait l’un des participants. S’il est difficile d’estimer le nombre précis de visiteurs, répartis dans plusieurs sites, l’affluence a été très importante et l’ambiance conviviale.
Ancien élève, ancien enseignant, parfois successivement l’un et l’autre : ce week-end, la plupart des personnes présentes avait un lien fort avec Do Neva. Aux côtés des Kanak, majoritaires dans l’assemblée, plusieurs Calédoniens d’origine européenne étaient présents pour témoigner de leur attachement à cet établissement. Un établissement que leurs grands-pères et leurs pères ont soutenu, comme c’est le cas d’André Mazurier, et où ils ont parfois été eux-mêmes élèves ou professeurs.
Plusieurs invités avaient également fait le déplacement de métropole, comme le petit-fils de Maurice Leenhardt, André, sa femme et une arrière-petite-fille, le président de l’Eglise autonome de France, M. Trautmann, ou d’anciens enseignants.

Le devenir de l’enseignement privé

Dans une ambiance très conviviale, des petits groupes se sont formés ici et là pour échanger des souvenirs, regarder des photos. Chants et danses ont ponctué les journées. Les repas ont également constitué des moments importants de convivialité.
Trois sites avaient été préparés, les visiteurs se déplaçant de l’un à l’autre. Dans la plaine où étaient installés des stands de restauration avec un podium, Pierre Gope a présenté sa dernière pièce de théâtre « Les murs de l’oubli » avec la compagnie Cebue. We ce ca et Dick et Hnatr ont animé la deuxième soirée avec des groupes de la commune. Du côté de Siloë, vers l’ancienne école des filles, se tenaient des ateliers vivants de sculpture et de tressage.
Le coeur de la manifestation avait été installé à Guilgal, à proximité de la vieille école, avec un espace conférence.
Aux témoignages émouvants d’anciens élèves et de professeurs du vendredi ont succédé des débats samedi et dimanche.
Après l’inauguration de la vieille école, le haut-commissaire Daniel Constantin, et le vice-recteur, Michel Barat, sont intervenus samedi après-midi dans le cadre d’échanges sur l’enseignement privé en Nouvelle-Calédonie. Un débat auquel ont participé les responsables des différents enseignements privés de Nouvelle-Calédonie.
La formation des enseignants, la place de langues maternelles ont été au cœur des discussions. La question des moyens mis à disposition de l’enseignement privé a également été abordée. « Des moyens qui permettent que les principes puissent s’incarner dans le concret » a indiqué l’un des intervenants. Un défilé de robes mission et une conférence sur le sujet par Waima Wapotro ont clôturé la journée du samedi.
Ce centenaire de Do Neva était également placé sous le signe de la réconciliation. Un sujet délicat au sein de l’Eglise protestante et qui intéresse particulièrement la communauté scolaire de Houaïlou, encore très marquée par la scission. Un culte « innovant » a d’ailleurs été célébré dimanche.

La vieille école : un symbole restauré

Classée monument historique en 1991, la vieille école a été rénovée cette année par la Province nord, en accord avec l’ASEE. Elle a été inaugurée samedi en présence de représentants de différentes institutions.
La vieille école, dont la construction avait été lancée par Maurice Leenhardt au lendemain de la Première Guerre mondiale en 1918, incarne l’œuvre des missionnaires en faveur de l’instruction des populations kanak de la Grande Terre et des Iles. Elle a été rénovée cette année par la Province nord, grâce à des fonds provenant du contrat de développement avec l’Etat. Le haut-commissaire, Daniel Constantin, et le vice-recteur, Michel Barat, qui avaient fait samedi le déplacement pour l’inaugurer, ont rappelé le rôle de Maurice Leenhardt dans la diffusion de la culture kanak, notamment à Paris aux « Langues O ».
Avant de dénouer la fibre végétale barrant l’entrée de l’école, Daniel Poigoune, vice-président de la Province nord, a rappelé le contexte dans lequel la mission de Do Neva avait démarré, cinquante ans après la prise de possession, à une époque où le régime de l’indigénat était encore en vigueur, et où l’on sortait d’une période de révoltes et de répression. « Un devoir de mémoire s’impose à nous tous » a-t-il indiqué.
A l’intérieur, les visiteurs ont pu découvrir une exposition sur la vie de Maurice Leehnardt, prêtée par le centre culturel Tjibaou. L’architecte en charge de la restauration, Jean-François Collomb, a expliqué les choix opérés pour rénover ce bâtiment « à l’identique », en fonction des élèments disponibles. Les travaux ont coûté 47,5 millions, financés à 95 % par la Province nord et à 5 % par l’ASEE.


 



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Plusieurs délégations avaient préparé des danses pour l’occasion. Avant l’inauguration de la vieille école, un groupe de la Grande Terre a dansé la « danse de la case » devant un public nombreux.


 
Témoignages

André Leenhardt (petit-fils de Maurice Leenhardt) : « Une occasion forte de se retrouver »

Le petit-fils de Maurice Leenhardt a dévoilé la plaque commémorative placée sur la vieille école. Un moment d’émotion.
« Cent ans après, Do Neva donne l’image d’un lieu qui reste un endroit de rassemblement et d’espoir. Les trois enseignements privés sont réunis ici, c’est un bon présage pour l’avenir. »
Au-delà de l’émotion personnelle suscitée par ce rassemblement et l’inauguration de la vieille école rénovée, André Leenhardt, lui-même pasteur, analyse la dynamique qu’il a perçue au cours de ces trois journées. « C’est une occasion forte de se retrouver ensemble » indique-t-il. « Mon père était très préoccupé par la scission au sein de l’Eglise protestante. Il a même essayé d’intervenir. Avec le processus de réconciliation qui est en route aujourd’hui, un pas important a été fait. »
André est le fils de Raymond, le fils aîné de Maurice Leenhardt. Né en 1903 à Do Neva, celui-ci a été profondément marqué par les quinze premières années de sa vie passées en Nouvelle-Calédonie. « J’ai réalisé en venant ici que mon père avait été conçu en même temps que Do Neva » observe avec amusement André Leenhardt. S’il n’est venu pour la première fois en Nouvelle-Calédonie qu’ à l’occasion du centenaire de la naissance de son grand-père en 1978, André Leehnardt a été « imprégné » de la Nouvelle-Calédonie depuis tout petit. « On avait beaucoup d’objets kanak à la maison, et mes parents, qui habitaient Paris, recevaient tous ceux qui venaient en métropole. Il y a un lien, une circulation, qui est restée permanente » observe-t-il.
Ce lien se poursuit avec son fils qui a passé deux ans en Nouvelle-Calédonie et a participé l’an dernier aux festivités autour de l’exposition Leehnardt au centre culturel Tjibaou.

Un missionnaire
« hors normes »

« L’histoire de la mission de Do Neva est à l’envers de toutes les histoires de missionnaires » poursuit André Leehnardt. « Les missionnaires indigènes, comme on disait à l’époque, ont lancé un appel lors de la conférence de Gondé pour que la société des missions de Paris leur envoie un missionnaire blanc pour les aider, les protéger de la colonisation. A cette époque-là, la Nouvelle-Calédonie avait très mauvaise réputation. Les révoltes n’étaient pas loin. Dès que mon grand-père a terminé sa formation, il a demandé à partir en Nouvelle-Calédonie. Il avait vingt-quatre ans. »
« Mon arrière-grand-père était un scientifique, un géologue. Il a dit à mon grand-père “ Commence par écouter. Les faits sont des paroles de Dieu “» ajoute encore André Leenhardt. C’est ce que mon grand-père a fait. Il a fait parler les vieux, il a analysé leur façon de vivre. C’est comme ça qu’il est devenu ethnologue. Il a fait un travail très important sur les langues. Pour résumer, je dirais qu’il était plus un accoucheur qu’un convertisseur, ce qui n’était pas toujours apprécié par sa hiérarchie. J’avais vingt et un ans quand il est mort. J’ai été très étonné et très touché de voir mon prénom sur la plaque commémorative fixée sur la vieille école. »

Alain Héo, ancien chef d’établissement : « L’idée que la vieille école disparaisse m’attristait »

Chef d’établissement de Do Neva de 1982 à 1991, Alain Héo a fait partie de l’équipe qui a œuvré pour le classement de la vieille école. « Ma mère avait été élève ici. Moi même, j’étais passé par là. La vieille école, ce n’était pas la salle de classe idéale mais la pensée qu’elle disparaisse m’attristait. Il y avait un peu de nostalgie dans ce projet. » Passionné d’histoire, comme Ismet Kurtovitch qui était alors directeur du collège, Alain Héo se lance à la recherche des archives de l’établissement. « C’était vraiment le travail de toute une équipe. Nous avons collecté tous les documents écrits et les photos pour faire une petite salle d’archives à Do Neva. Nous avons envoyé des courriers aux héritiers du pasteur Charlemagne, Jean-Pierre Charlemagne et à Roselaine Leenhardt. M. Lacheret, le père d’Evelyne Lèques, qui a été missionnaire, nous a également envoyé des photos et des écrits, tout comme Albert Frey. Une partie des agendas de Paul-Emile Pasteur, le missionnaire qui a suivi la construction de l’école, était encore là. Nous avons récupéré des correspondances entre Laffay, le concepteur du bâtiment, et Paul-Emile Pasteur, au sujet du vitrail notamment. »

Une convention signée
en 1991

Une armoire entière de documents sont rassemblés, qui ont été ensuite répartis entre les Archives et l’ADCK. Une demande de classement est adressée à la Province nord. Le bâtiment est classé comme monument historique.
« Il y a eu plusieurs projets de restauration avec différents architectes, mais nous n’étions pas toujours d’accord. Le premier voulait construire un mur de briques autour de l’existant. » Aujourd’hui, le bâtiment est couvert par une double toiture, l’une en tôles, l’autre en tuiles, car les seules tuiles seraient trop fragiles. « Nous aurions voulu conserver les pierres apparentes, mais les murs ont beaucoup pris l’eau ces dernières années. Nous avons juste conservé une pierre apparente, avec un pétroglyphe, qui avait été placé là par un pasteur de Poum, Tobi Baou. C’était une force de la nature, on le surnommait Double nerfs. C’est lui qui a placé cette pierre, tout seul. »
Alain Héo est très satisfait des travaux réalisés. « Aujourd’hui, je fais partie des plus heureux » lance-t-il avec un sourire.


 




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